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316 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

Elle semblait avoir grandi pendant cette nuit ; elle se présenta devant Wilhelm d’un air imposant et noble, et fixa sur lui un œil si sévère, qu’il ne put soutenir son regard. Elle ne lui fit point les caresses accoutumées, elle qui, d’ordinaire, lui serrait la main, lui baisait la joue, la bouche, le bras ou l’épaule ; mais, après avoir fait son service, elle se retira en silence. L’heure fixée pour une lecture était venue on se réunit, et tout le monde était mal disposé, grâce à la fête de la veille. Wilhelm recueillit ses forces du mieux qu’il put, pour ne pas manquer d’abord aux maximes qu’il avait si vivement prêchées. Sa grande pratique vint à son secours car la pratique et l’habitude doivent, dans tous les arts, combler les lacunes que laisseraient si souvent le génie et le caprice.

Toutefois on put reconnaître, en cette occasion, combien il est vrai de dire qu’on ne devrait jamais entrer avec solennité dans aucune situation qui doit durer longtemps, qui doit même devenir un état, un genre de vie. Que l’on se borne à fêter ce qui est heureusement accompli ; toute cérémonie, au début, épuise l’ardeur et les forces qui produisent l’élan, et qui doivent nous soutenir dans un labeur continu. De toutes les fêtes, celles du mariage sont les plus déplacées ; aucun acte ne devrait s’accomplir avec plus de silence, d’espoir et d’humilité.

La journée se traîna lentement, et Wilhelm n’en avait point encore passé de plus insipide. Le soir, au lieu de converser comme d’habitude, on baillait. L’intérêt d’~an~ct était épuisé, et l’on trouvait presque désagréable d’avoir a le jouer encore le jour suivant. Wilhelm produisit le voile du spectre on dut en conclure qu’il ne reviendrait pas. C’était surtout l’avis de Serlo. II semblait parfaitement instruit des intentions de la merveilleuse figure ; d’un autre côté, on ne pouvait s’expliquer les paroles « Fuis, jeune homme, fuis » Comment Serlo pouvait-il s’entendre avec une personne qui semblait avoir l’intention d’éloigner le meilleur acteur de sa troupe ?

]1 fut nécessaire de confier au bourru le rôle du fantôme et celui du roi au pédant. Tous deux déclarèrent qu’ils les avaient déjà étudiés ; et ce n’était pas une merveille en effet, après tant de répétitions et de si longues dissertations sur cette pièce, tous les comédiens avaient si bien appris à la connaître, qu’ils au