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330 M’ :P ANNÉES D’APPRENTISSAGH

doit être produit par un concours d’hommes et de circonstances ne saurait subsister longtemps sans altération. On peut d’ordinaire indiquer le moment où une troupe de comédiens, aussi bien qu’un empire, un cercle d’amis ou une armée, est parvenue au plus haut degré de perfection, de bon accord, de contentement et d’activité tout à coup le personnel vient à changer ; de nouveaux membres arrivent ; les personnes ne conviennent plus aux circonstances, les circonstances aux personnes tout change, et ce qui était uni auparavant, se disperse et se sépare bientôt. On pouvait dire que la troupe de Serlo fut quelque temps aussi parfaite qu’aucune troupe allemande avait pu se vanter de l’être. La plupart des comédiens étaient à leur place ; tous étaient assez occupés, et tous faisaient avec plaisir ce qu’ils avaient à faire. Leurs rapports mutuels étaient assez bons, et chacun d’eux semblait donner de grandes espérances, parce que chacun faisait les premiers pas avec ardeur et allégresse. Toutefois on reconnut bientôt que plusieurs n’étaient que des automates, qui ne pouvaient atteindre jusqu’au point où l’on ne parvient pas sans le secours du sentiment. Bientôt intervinrent les passions, ennemies ordinaires de toute bonne institution, et qui désorganisent si aisément ce que des hommes sages et bien pensants voudraient maintenir. Le départ de Philine n’était pas aussi insignifiant qu’on l’avait cru d’abord. Elle avait su, avec beaucoup d’adresse, amuser Serlo et charmer plus ou moins les autres artistes ; elle souffrait les vivacités d’Aurélie avec une grande patience, et son occupation principale était de caresser l’amour-propre de Wilhelm. Elle avait été pour la troupe une sorte de lien, et l’on devait bientôt sentir sa perte.

Serlo ne pouvait vivre sans une intrigue d’amour. Elmire, qui s’était développée en peu de temps, et qu’on pouvait même appeler une belle personne, avait fixé son attention, et Philine fut assez habile pour favoriser cette passion, qu’elle avait remarquée. 11 faut, disait-elle souvent, s’accoutumer de bonne heure à favoriser les amours d’autrui c’est tout ce qui nous reste à faire quand nous vieillissons. Par son entremise, Serlo et Elmire s’étaient assez rapprochés pour s’entendre fort bien après le départ de Philine, et ce petit roman les intéressait d’au