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334 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

sont-elles pas faites pour nous prédisposer, nous et nos enfants, "à la folie ! »

Wilheim passa quelques jours chez cet homme sage, et il apprit les choses les plus intéressantes, non-seulement sur des personnes en délire, mais aussi sur d’autres, que l’on a coutume de tenir pour sensées, même pour sages, et dont les singularités touchent de près à la démence.

La conversation fut bien plus vive encore, à l’arrivée du médecin, qui visitait souvent le pasteur, son ami, et ]e secondait dans ses charitables efforts. C’était un homme déjà vieux, qui, avec une santé débile, avait passé de longues années dans l’exercice des plus nobles devoirs. Il était grand ami de la vie champêtre, et ne pouvait presque vivre qu’en plein air. D’ailleurs il était, au plus haut degré, actif et sociable, et, depuis plusieurs années, il aimait surtout à se lier avec les pasteurs de village. Il cherchait a seconder de toute manière ceux qu’il savait utilement occupés ; ceux qu’il voyait encore indécis, il s’efforçait de leur inspirer quelque goût favori, et, comme il était lié en même temps avec les gentilshommes, les baillis et les juges, il avait beaucoup contribué, sans bruit, dans l’espace de vingt années, au développement de plusieurs branches d’économie rurale il avait avancé tout ce qui est profitable aux campagnes, aux hommes et au bétail, et favorisé par ces soins la véritable civilisation. « Il n’est qu’un malheur pour l’homme, disait-il c’est qu’il s’établisse dans son esprit quelque idée qui n’ait sur la vie active aucune influence, ou qui même le détourne de l’activité. J’en ai un exemple maintenant, poursuivit-il, dans un couple riche et noble, auprès duquel mon art a été impuissant jusqu’à ce jour ; le cas est presque de votre domaine, cher pasteur, et ce jeune homme nous gardera le secret.

« En l’absence d’un homme de condition, on se permet (plaisanterie assez peu louable) de faire endosser à un jeune homme la robe de chambre du seigneur. Sa femme y devait être trompée, et, bien que l’on m’ait rapporté la chose comme un pur badinage, je crains fort que l’on ne voulût détourner du droit chemin l’aimable et noble dame. Le mari revient à l’improviste, entre dans sa chambre, croit se voir lui-même, et dès lors il est saisi d’une mélancolie, dans laquelle il se nourrit de l’idée