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DE WILHELM MEISTER. 341

bientôt après, arriva le manuscrit que le docteur avait promis. Aurélie pria Wilhelm de lui en faire lecture. On pourra juger de l’effet qu’il produisit, quand on aura pris connaissance du livre suivant. L’orgueil et la violence de notre pauvre amie s’adoucirent tout à coup elle reprit sa lettre et en écrivit une autre, dans une disposition d’esprit qui semblait fort douce elle pria Wilhelm de consoler son amant, si la nouvelle de sa mort l’affligeait, et de l’assurer qu’elle lui pardonnait et souhaitait son bonheur.

Dès lors elle fut très-calme, et parut occupée uniquement de quelques pensées du manuscrit, cherchant à se les approprier, et demandant à Wilhelm de reprendre par moments cette lecture. Le déclin de ses forces n’était point visible et Wilhelm la trouva morte inopinément, un matin qu’il venait lui rendre visite.

Son estime pour elle et l’habitude de sa société lui rendirent sa perte fort douloureuse. Aurélie était la seule personne de la troupe qui eût pour lui de l’affection, et, depuis quelque temps, il n’avait que trop senti la froideur de Serlo. Il s’empressa donc de remplir le message qui lui était confié ; il désirait s’éloigner pour quelque temps. De son côté, Mélina fut charmé de ce départ. Grâce à la correspondance étendue qu’il entretenait, il s’était d’abord pourvu d’un chanteur et d’une chanteuse, qui devaient provisoirement préparer le public, par des intermèdes, au futur opéra. Cela ferait diversion dans les premiers temps, à la perte d’Aurélie et à l’absence de Wilhelm. Notre ami accueillit avec joie tout ce qui lui facilitait un congé de quelques semaines. II s’était fait de son message une idée singulièrement importante. La mort de son amie l’avait ému profondément ; en la voyant disparaître si prématurément de la scène du monde, il devait se sentir de la haine pour celui qui avait abrégé ses jours, et qui avait rempli de tourments cette courte vie.

Sans s’arrêter aux paroles de pardon que la mourante avait prononcées, Wilhelm se proposa de faire entendre à l’amant infidèle un blâme sévère, en lui présentant la lettre, et, comme il ne voulait pas se fier aux hasards de l’inspiration, il médita un discours, auquel il donna, en le polissant, une forme par trop pathétique. Persuadé qu’il avait réussi à composer un vrai mor