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348 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

jusque dans les détails. Je ne sais plus en quel endroit il se prit à dire

« Que cela est charmant ! que cela est naturel Mais il faut que la bonne Philis se tienne sur ses gardes cela peut bientôt devenir sérieux. »

Je fus choquée qu’il ne tînt pas déjà la chose pour sérieuse, et lui demandai, d’un ton piqué, ce qu’il entendait par sérieux. Il ne se le fit pas demander deux fois, et il s’expliqua si clairement que je pus à peine cacher ma frayeur. Mais comme, aussitôt après, le dépit s’empara de moi, et que je trouvai mauvais qu’il pût avoir de pareilles pensées, je me recueillis, je voulus justifier ma bergère et je dis, les joues enflammées

Mais, monsieur, Philis est une honnête fille ! »

Alors il fut assez malin pour me plaisanter sur ma vertueuse héroïne, et, comme nous parlions français, il joua sur le mot honnête, pour faire passer l’honnêteté de Philis par toutes les significations. Je sentis le ridicule et fus extrèmement troublée. Lui, qui ne voulait pas m’intimider, coupa court à la chose, mais, en d’autres occasions, il remit la conversation sur le même sujet.. Les comédies et les historiettes qu’il me faisait lire ou traduire lui donnaient souvent sujet de montrer quelle faible sauvegarde on trouvait dans ce qu’on nomme vertu, contre les entraînements d’une passion. Je cessai de le contredire, mais je m’indignais toujours en secret, et ses observations me fatiguaient. Je me vis peu à peu séparée de mon cher Damon ; les querelles du cadet avaient rompu notre liaison peu de temps après, la mort emporta les deux frères. Je pleurai, mais ils furent bientôt oubliés.

Philis devint promptement une grande personne, d’une santé parfaite, et elle fit son entrée dans le monde. L’héritier de la couronne se maria, et, son père étant mort quelque temps après, un nouveau règne commença. La cour et la ville furent trèsanimées. Ma curiosité avait de quoi se satisfaire. Il y eut des bals, des spectacles et d’autres réjouissances nos parents nous retenaient chez nous autant que possible, mais il fallut cependant paraître à la cour, où j’avais été présentée. Les étrangers affluaient ; dans toutes les maisons il y avait des gens de qualité quelques cavaliers nous étaient recommandés ; d’autres