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DE WILHELM MEISTER. 349

nous furent présentés, et l’on pouvait trouver chez mon oncle toutes les nations.

Mon respectable mentor continuait a m’avertir, modestement mais avec force, et, dans le fond du cœur, j’en étais toujours blessée. Je n’étais nullement persuadée de la vérité de ses maximes, et peut-être aussi avais-je raison peut-être avait-il tort de croire les femmes si faibles en toute circonstance mais ses discours étaient si pressants, que je vins à craindre qu’il n’eût raison, et lui dis un jour très-vivement

« Puisque le danger est si grand et le cœur humain si faible, je veux prier Dieu qu’il me garde.

Cette réponse naïve parut lui plaire ; il approuva ma résolution, mais elle n’était rien moins que sérieuse cette fois ce n’était qu’une parole vaine car le sentiment de l’invisible était presque entièrement effacé dans mon cœur. Le tourbillon du grand monde, dont j’étais environnée, me distrayait et m’entraînait comme un torrent. Ce furent les années les plus vides de ma vie. Passer les jours en conversations frivoles, sans avoir aucune saine pensée, vivre dans une dissipation continuelle, voilà ce qu’il me fallait. Il n’était pas même question de mes livres ché" ris. Les gens avec lesquels je vivais n’avaient aucune idée des sciences ; c’étaient des courtisans allemands, et cette classe n’avait pas alors la moindre culture.

Il semblera qu’une telle société aurait dû me conduire au bord de l’abîme. Je passais ma vie dans les plaisirs ; je ne me recueillais point, je ne priais point, je ne pensais pas à moi, je ne pensais pas à Dieu ; mais je regarde comme une dispensation de sa providence, que pas un de tous ces hommes si beaux, si riches, si bien parés, ne me plût. Ils étaient débauchés et ne s’en cachaient pas cela me révolta. Ils ornaient leur conversation d’équivoques cela me choquait et entretenait ma froideur à leur égard ; leur malhonnêteté surpassait quelquefois toute croyance, et je me permis de les traiter rudement. Au reste, mon vieil ami m’avait fait entendre un jour qu’avec la plupart de ces hommes dépravés, la santé d’une femme n’était pas moins en péril que sa vertu. Dès lors ils me firent horreur, et je prenais peut aussitôt qu’un d’entre eux venait à se trouver trop près de moi. Je me défiais des verres et des tasses, comme