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374 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

°-oûts, nos habitudes domestiques étaient les mêmes, et nous fûmes bientôt liés.

Philon (c’est le nom que je lui donnerai) était déjà d’un certain âge, et il fut, dans quelques affaires, d’un très-grand secours à mon père, dont les forces commençaient à décliner. Il devint bientôt l’ami particulier de notre maison, et, comme il trouvait en moi, disait-il, une personne qui n’avait ni la dissipation et la frivolité du grand monde, ni la sécheresse et les minuties des dévots, nous fûmes en peu de temps intimement liés. Il m’était très-agréable et très-utile.

Sans avoir la moindre disposition et le inoindre penchant à me mêler des affaires du monde et à rechercher l’influence, j’aimais à en être informée, et à savoir ce qui se passait auprès et au loin. Je désirais connaître nettement les choses de la terre, sans y attacher mon cœur ; le sentiment, la tendresse, l’amour, je les réservais pour mon Dieu, pour ma famille et pour mes amis.

Ceux-ci étaient, si j’ose le dire, jaloux de ma nouvelle liaison avec Philon, et ils avaient raison, sous plus d’un rapport, dans les avertissements qu’ils me donnaient. Je souffrais beaucoup en silence, car je ne pouvais moi-même considérer leurs objections comme entièrement vaines ou intéressées. J’étais de tout temps accoutumée à subordonner mes lumières, et, cette fois pourtant, ma conviction ne voulait pas céder. Je priai mon Dieu de m’éclairer, de m’arrêter, de me conduire, et, comme mon cœur ne me détourna nullement, je suivis sans crainte mon sentier.

Philon avait avec Narcisse une vague ressemblance, mais une éducation pieuse avait donné à ses sentiments plus de consistance et de vie il avait moins de vanité, plus de caractère, et si, dans les affaires du monde, le premier était fin, exact, persévérant, infatigable, le second était clair, décidé, prompt, et il travaillait avec une incroyable facilité. Par lui j’appris à connaître la situation intérieure de presque tous les grands personnages dont j’avais étudié les dehors dans la société, et, de ma cachette, j’aimais a observer les orages lointains. Philon n’avait plus rien de secret pour moi ; il me confia peu à peu ses liaisons politiques et privées. Je conçus des craintes pour lui, car je pré