Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/388

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

384 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

haine et d’antipathie, tombèrent bientôt dans l’injustice, et, pour défendre une simple forme, abjurèrent, peu s’en faut, leurs meilleurs sentiments.

Quels que fussent, dans cette affaire, les torts de mon respectable directeur, et quelques efforts que l’on fit pour exciter contre lui mon ressentiment, je ne pus jamais lui refuser une cordiale estime. Je le connaissais parfaitement ; je pouvais équitablement me figurer sa manière de considérer ces choses. Je n’avais jamais vu d’homme sans faiblesses ; seulement, elles sont plus choquantes chez les hommes éminents ; or, nous désirons et nous voulons absolument que ceux qui sont si privilégiés ne payent aucun tribut à l’humanité. Je l’honorais comme un homme excellent, et j’espérais faire servir ma neutralité secrète à ménager une paix ou du moins une trêve. Je ne sais ce que j’aurais obtenu Dieu en finit par un moyen plus prompt, et retira le pasteur à lui. Tous ceux qui naguère avaient disputé avec le prédicateur pleurèrent sur son cercueil. Personne n’avait jamais révoqué en doute sa droiture et sa piété.

Vers ce même temps, je dus aussi renoncer à ma poupée, que ces contestations m’avaient, en quelque façon, présentée sous un nouveau jour. Mon oncle avait poursuivi en silence ses plans à l’égard de ma sœur. Il lui proposa un jeune homme noble et riche, et, dans la constitution de la dot, il se montra aussi généreux qu’on pouvait l’attendre de lui. Mon père donna son consentement avec joie ; ma sœur avait le cœur libre et préparé elle accepta volontiers. Les noces devaient se célébrer au château de notre oncle ; amis et parents furent conviés, et nous arrivâmes tous le cœur joyeux.

Ce fut la première fois de ma vie qu’à mon entrée dans une maison, l’admiration me saisit. J’avais, il est vrai, souvent ouï parler du goût de notre oncle, de son architecte italien, de ses collections et de sa bibliothèque mais je comparais tout cela avec ce que j’avais déjà vu, et je m’en faisais une idée trèsconfuse. Quelle ne fut donc pas ma surprise, à l’impression harmonieuse et grave que j’éprouvai dès mon entrée dans cette maison, et qui allait croissant dans chaque salle Jusqu’à ce jour, la magnificence et les ornements n’avaient fait que me distraire, mais ici je me sentais recueillie et rappelée en moi