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DE WILHELM MEISTER. 393

nooie nourriture que les chants dont vous avez paru souhaiter la répétition.* p

Aussitôt il nous lit entendre des chants à quatre et à huit voix ; les chanteurs s’étaient encore exercés et fortifiés en secret, et nous eûmes, j’ose le dire, un avant-goût de la béatitude céleste. Je ne connaissais jusqu’alors que les chants pieux par lesquels de bonnes âmes, qui s’écorchent le gosier, comme les oiseaux des bois, croient louer Dieu, parce qu’elles se procurent à ellesmêmes une sensation agréable ; puis la frivole musique des concerts, qui provoque tout au plus chez nous l’admiration d’un talent, et rarement une jouissance, même passagère. Mais, cette fois, j’entendis un chant, expression du plus profond sentiment de nobles âmes, et qui, par des organes exercés et purs, parlait, avec un ensemble harmonieux, au plus noble et plus profond sentiment de l’homme, et lui faisait vivement sentir en ce moment sa ressemblance avec la Divinité. C’étaient des chants latins, des chants d’église, qui ressortaient comme des pierres précieuses sur l’anneau d’or d’une société mondaine et polie, et qui, sans prétendre à ce qu’on nomme édification, m’élevèrent à l’émotion la plus sublime et me causèrent un vrai bonheur.

A notre départ, nous reçûmes tous de mon oncle de nobles présents il me donna une croix de chanoinesse d’un plus beau travail et émaitlée avec plus de goût qu’on ne le voyait communément. Elle portait un gros brillant, par lequel elle était fixée au ruban, et que mon oncle me pria de considérer comme la plus noble pierre ~’un cabinet d’histoire naturelle.

Ma sœur suivit son mari dans ses terres ; nous retournâmes tous dans nos demeures, et il nous sembla que, pour ce qui regarde les dehors, nous étions rentrés dans une vie bien vulgaire. Nous étions transportés, comme d’un château de fées, dans un lieu tout uni, et il fallut nous résigner à reprendre nos habitudes.

Les remarquables expériences que j’avais faites dans cette nouvelle sphère me laissèrent une heureuse impression ; mais elle ne subsista pas longtemps dans toute sa vivacité, bien que mon oncle cherchât à l’entretenir et a la renouveler, en me faisant passer de temps en temps quelques-unes de ses œuvres