Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/398

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

394 LES ANNËES D’APPRENTISSAGE

d’art les plus agréables et les meilleures, qu’il remplaçait par d’autres, quand j’avais joui assez longtemps des premières. J’étais trop accoutumée à m’occuper de moi-même, à régler l’état de mon cœur et de mon âme, à m’entretenir de ces choses avec des personnes animées des mêmes sentiments, pour qu’il me fût possible de considérer avec attention une œuvre d’art, sans faire bientôt un retour sur moi-même. J’étais accoutumée à regarder toujours un tableau et une gravure comme les caractères d’un livre. Une belle impression plaît sans doute ; mais qui ouvrira et prendra un livre à cause de l’impression ? Je voulais donc aussi qu’une peinture me dît quelque chose, m’instruisît, me toucMt, me rendît meilleure ; et, quoi que pût me dire mon oncle, datis les lettres par lesquelles il m’expliquait ses œuvres d’art, je demeurai dans mon premier sentiment.

Au reste, les circonstances, les changements qui arrivèrent dans ma famille, plus encore que mon propre caractère, m’arrachèrent à ces méditations, et même quelque temps à moimême j’eus à souffrir et à travailler plus que mes forces débiles ne semblaient le permettre. Celle de mes sœurs qui restait fille avait été jusqu’alors mon bras droit forte et bien portante, d’une bonté parfaite, elle s’était chargée du ménage, comme je m’étais consacrée à soigner notre vieux père. Elle fut prise d’un catarrhe qui dégénéra en maladie de poitrine, et, en trois semaines, elle fut couchée dans le cercueil. Sa mort me fit une blessure dont je ne suis pas encore guérie.

Je tombai malade, et j’étais alitée avant qu’elle fût ensevelie mon ancien mal de poitrine sembla se réveiller ; j’avais une toux violente, et un enrouement si fort que j’en avais perdu la voix. Ma sœur absente, saisie de frayeur et de chagrin à ces nouvelles, fit une fausse couche. Notre père dut craindre de perdre tout à la fois ses enfants et l’espérance de sa postérité. Sa juste douleur augmentait la mienne je priai Dieu de me rendre quelque santé, et lui demandais seulement de prolonger assez mes jours pour que je survécusse à mon père. Je guéris, et, délicate comme je l’étais, je me trouvai pourtant, quoique avec beaucoup de peine, en état de remplir mes devoirs.

Ma sœur eut une nouvelle grossesse. Elle me confia divers soucis, qu’une fille confie ordinairement à sa mère. Elle n’était