Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/433

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

DE WILHELM MEISTER. 429

spirituelle, pleine de talents, les délices d’un cercle d’amis, qu’elle savait rassembler autour d’elle. A vrai dire, sa société n’était pas nombreuse ou ne le fut pas longtemps. On n’y voyait guère que des hommes, car aucune femme ne se trouvait bien auprès d’elle, et ma mère pouvait moins encore souffrir le mérite d’une femme.

-c Je ressemblais a mon père par la figure et les inclinations. Comme les petits canetons cherchent l’eau en sortant de la coquille, je me trouvai, dès mon enfance, dans la cuisine, l’office, les granges et les greniers, comme dans mon élément. L’ordre et la propreté de la maison, même dans le temps des jeux de mon premier âge, semblaient être mon unique instinct, mon unique objet. Mon père s’en applaudit, et il fournit par degrés a mon ardeur enfantine les occupations convenables ; en revanche ma mère ne m’aimait pas, et ne s’en cachait pas un moment.

Je grandissais, et, avec les années, croissaient mon activité et l’amour de mon père. Lorsque nous étions seuls, que nous allions aux champs, que je l’aidais à régler les comptes, je pouvais m’apercevoir combien il était heureux ! Quand mes yeux se fixaient sur les siens, c’était comme si j’eusse regardé en moi-même, car c’était surtout par les yeux que je lui ressemblais parfaitement. Mais il ne conservait ni la même assurance ni la même expression en présence de ma mère il m’excusait doucement, quand elle m’adressait de violents et injustes reproches ; il prenait mon parti, non comme étant capable de me protéger, mais seulement d’excuser mes bonnes qualités. Il ne s’opposait non plus à aucun de ses penchants. Elle se prit d’une grande passion pour le spectacle un théâtre fut construit. On ne manqua pas d’hommes, de tout âge et de toute figure, qui se produisirent sur la scène avec elle, mais on manquait souvent de femmes. Lydie, agréable jeune fille, qu’on élevait avec moi, et qui, dès son âge le plus tendre, promettait d’être belle, dut jouer les secondes amoureuses, et une vieille femme de chambre, les mères et les tantes ; ma mère se réserva les premières amoureuses, les héroïnes et les bergères de toute espèce. Je ne puis vous dire combien je trouvais ridicules ces personnes que je connaissais toutes si bien, lorsqu’elles s’étaient