Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/46

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bailli pour faire poursuivre les fugitifs. La femme se répandait en reproches contre sa belle-fille, en outrages contre l’amant ; à l’entendre, ils ne méritaient l’un et l’autre que le mépris. Elle déplora, dans un flux de paroles, la honte qui en rejaillirait sur la famille, et ne mit pas dans un petit embarras Wilhelm, qui se sentait blâmé et condamné d’avance, lui et son dessein secret, par cette sibylle, avec un esprit en quelque sorte prophétique ; mais il prit une part plus vive et plus sentie à l’affliction du père, qui revint de chez le bailli, apprit à sa femme, à demi-mot, avec une douleur concentrée, ce qu’il avait fait, et, après avoir parcouru la lettre, fit amener le cheval devant Wilhelm, sans pouvoir cacher son trouble et sa préoccupation.

Wilhelm voulait monter à cheval sur-le-champ, et s’éloigner d’une maison où il ne pouvait se trouver à son aise dans de pareilles circonstances ; mais le brave homme ne voulut pas laisser partir, sans l’avoir fait asseoir à sa table et logé une nuit sous son toit, le fils d’une maison à laquelle il était si redevable.

Notre ami, après avoir fait un triste souper, et avoir passé une nuit agitée, se hâta de quitter, dès le grand matin, ces pauvres gens, qui, sans le savoir, l’avaient fait cruellement souffrir par leurs récits et leurs confidences.

Il cheminait lentement, livré à ses rêveries, quand tout à coup il vit venir à travers champs une troupe de gens armés, qu’à leurs longs et larges habits, leurs grands parements, leurs informes chapeaux et leurs armes pesantes, leur air débonnaire et leur tenue nonchalante, il reconnut sur-le-champ pour un détachement de milice. Ils firent halte sous un vieux chêne, posèrent leurs fusils, et se couchèrent à leur aise sur le gazon pour fumer une pipe. Wilhelm s’arrêta près d’eux, et entra en conversation avec un jeune homme qui arrivait à cheval. Il dut essuyer un nouveau récit de l’histoire des deux fugitifs, qui ne lui était que trop connue, et qui fut accompagnée cette fois de réflexions assez peu favorables au jeune couple comme aux parents. Il apprit en même temps que la milice était venue dans ce lieu recevoir les deux amants, qu’on avait atteints et arrêtés dans le bourg voisin. Bientôt on vit arriver de loin une charrette, à laquelle une garde bourgeoise formait une escorte plus