Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/460

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

456 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

Ils s’entretinrent de la sorte de ce qui s’était passé en l’absence de Wilheim, et il put fort bien juger que, dans le fond, la troupe lui avait donné depuis longtemps son congé. Il attendait avec impatience la vieille Barbara, qui lui avait annoncé, pour une heure avancée de la nuit, sa mystérieuse visite. Elle ne voulait pas se rendre chez lui avant que tout le monde fût endormi, et demandait les mêmes précautions que la plus jeune fille qui voudrait se glisser chez son amant. En attendant, Wilhelm relut cent fois la lettre de Marianne ; il lisait avec un ravissement inexprimable le mot fidèle, tracé par cette main chérie, et avec horreur l’annonce de sa mort, dont elle ne semblait pas craindre l’approche.

Il était plus de minuit lorsqu’il se fit quelque bruit a la porte cntr’ouvertc, et la vieille entra, un panier à la main. « Il faut, lui dit-elle, que je vous fasse l’histoire de nos malheurs, et, je dois le supposer, vous êtes là assis tranquillement si vous m’attendez ponctuellement, ce n’est que pour satisfaire votre curiosité, et, maintenant comme autrefois, vous vous enveloppez de votre froid égoïsme, tandis que nos cœurs se brisent. Mais voyez ! de même qu’en cette heureuse soirée, j’apportai une bouteille de champagne ; que je plaçai les trois verres sur la table, et que vous commençâtes à nous tromper et nous endormir avec vos agréables contes d’enfance, je vais vous éclairer et vous réveiller aujourd’hui avec de tristes vérités. »

Wilhelm ne savait que se dire, quand il vit la vieille faire sauter le bouchon et remplir les trois verres.

Buvez, s’écria-t-elle, après avoir vidé tout d’un trait son verre écumant, buvez, avant que l’esprit s’évapore. Ce troisième verre, versé à la mémoire de l’infortunée Marianne, laissons-le sans emploi laissons tomber la mousse. Comme ses lèvres étaient vermeilles, lorsqu’elle buvait à ’votre santé ! Hélas ! et maintenant, pâles et glacées pour jamais !

Sibylle ! furie ! s’écria Wilhelm, en se levant et frappant du poing sur la table, quel mauvais esprit te possède et te presse ? Pour qui me prends-tu, si tu crois que le plus simple récit des souffrances et de la mort de Marianne ne m’affligera pas assez profondément, sans que tu mettes en œuvre cette h ;