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DE WILHELM MEISTER. 463

« Tu me crois coupable je le suis en effet, mais non comme tu penses. Viens, afin que j’aie du moins la consolation de me faire connaître à toi tout entière, et qu’ensuite l’on fasse de moi ce qu’on voudra. »

« Ce n’est pas pour moi seulement, c’est aussi pour toi-même que je te supplie de venir. Je sens les douleurs insupportables que tu souffres quand tu me fuis. Viens que notre séparation soit moins cruelle ! Je ne fus peut-être jamais plus digne de toi, qu’au moment où tu me repousses dans un abîme de misère. a

Par tout ce qu’il y a de sacré, par tout ce qui peut toucher un cœur d’homme, je t’implore ! Il s’agit d’une âme, il s’agit d’une vie, de deux vies, dont l’une au moins doit t’être chère à jamais. Ta défiance ne voudra pas non plus le croire, et pourtant je le déclarerai a l’heure de la mort l’enfant que je porte en mon sein est à toi. Depuis que je t’aime, aucun homme ne m’a seulement serré la main. Ah ! si ton amour, si ta loyauté, avaient été les compagnons de ma jeunesse ! D

« Tu ne veux pas m’entendre ? Il faut donc me taire ; mais ces feuilles ne périront point ; peut-être te parleront-elles encore, quand le linceul couvrira mes lèvres, et quand la voix de ton repentir ne pourra plus parvenir à mon oreille. Pendant ma triste vie, et jusqu’à mon dernier moment, mon unique consolation sera d’avoir été irréprochable envers toi, quand même je ne puis me dire innocente. »

Wilheim fut incapable de poursuivre. Il s’abandonna tout entier à sa douleur ; mais il souffrit plus encore, lorsqu’il vit entrer Laërtes, à qui il s’efforçait de cacher ses sentiments. Laërtes tira de sa poche une bourse pleine de ducats, les compta et recompta, assurant à Wilhelm qu’il n’y avait rien au monde de plus beau que d’être sur le chemin de la fortune ; que rien ne pouvait plus alors nous troubler ou nous arrêter. Wilhelm se rappela son rêve et sourit ; mais il réfléchit en même temps avec horreur que, dans ce même rêve, Marianne l’avait quitté pour