Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/47

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ridicule que terrible. Un greffier burlesque prit les devants à cheval, et, s’approchant de son confrère de l’autre juridiction, le jeune homme avec qui Wilhelm s’était entretenu, le salua, à la limite même, avec une scrupuleuse exactitude et des gestes bizarres, à peu près comme pourraient faire un esprit et un magicien l’un en dedans, l’autre en dehors du cercle, dans leurs dangereuses opérations nocturnes.

Cependant l’attention des spectateurs s’était dirigée sur la charrette, et l’on considérait, non sans pitié, les pauvres fugitifs, qui étaient assis sur des bottes de paille, se regardaient avec tendresse, et semblaient à peine remarquer les assistants. On s’était vu accidentellement forcé de les amener du dernier village d’une manière si malséante, parce que le vieux carrosse dans lequel on avait mis la belle s’était brisé. À cette occasion, elle supplia qu’on la réunît à son amant, qu’on avait jusque-là fait marcher à côté de la voiture, chargé de chaînes, dans la persuasion qu’il était atteint et convaincu d’un crime capital. Ces chaînes contribuaient à rendre encore plus intéressante la vue du groupe amoureux, le jeune homme se conduisant d’ailleurs avec beaucoup de décence, et baisant par intervalles les mains de sa bien-aimée.

«  Nous sommes bien malheureux, disait-elle à ceux qui les entouraient, mais non aussi coupables que nous le paraissons. C’est ainsi que des hommes cruels récompensent un amour fidèle, et que des parents, qui négligent absolument le bonheur de leurs enfants, les arrachent avec violence à la joie, qui leur ouvrait son sein après de longs jours de tristesse. »

Tandis que les assistants témoignaient de diverses manières leur compassion, la justice avait accompli ses formalités ; la charrette se remit en marche, et Wilhelm, qui prenait une grande part au sort des amants, courut en avant par un sentier, pour faire connaissance avec le bailli avant l’arrivée de la troupe. Mais, à peine avait-il gagné la maison, où tout était en mouvement et disposé pour la réception des fugitifs, que le greffier survint, et, faisant un récit détaillé de tout ce qui s’était passé, et surtout un éloge infini de son cheval, que le juif lui avait cédé la veille par échange, il empêcha toute autre conversation. Déjà l’on avait déposé le couple infortuné dans le jardin, qui