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470 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

qu’il ne prétendait plus à son ancienne place. Une partie du public souhaitait de le voir paraître encore la chose lui eût été impossible, et, dans la troupe, personne ne le désirait, sauf peut-être Mme Mélina. En faisant ses adieux à cette amie, il fut ému et lui dit

« Pourquoi faut-il que l’homme se hasarde à rien promettre pour l’avenir ? I) n’est pas en état de tenir la moindre chose que sera-ce, s’il se propose un objet important ? Quelle est ma confusion, quand je songe à ce que je vous promis à tous dans cette malheureuse nuit, où, dépouillés, malades, blessés et souffrants, nous étions entassés dans un misérable cabaret ? Comme le malheur élevait alors mon courage, et quel trésor je croyais trouver dans ma bonne volonté ! Et tout cela n’a rien produit, absolument rien. Je vous quitte et je reste votre débiteur. Heureusement, on n’a pas attaché à ma promesse plus d’importance qu’elle n’en méritait, et personne ne me l’a jamais rappelée.

Ne soyez pas injuste envers vous-même, lui répondit Mme Mélina. Si personne ne reconnaît ce que vous avez fait pour nous, moi je ne le méconnaîtrai pas, car notre position serait tout autre, si nous ne vous avions pas possédé. Il en est de nos projets comme de nos désirs nous ne les reconnaissons plus, une fois qu’ils sont exécutés, qu’ils sont accomplis, et nous croyons n’avoir rien fait, rien obtenu.

Vos explications amicales ne tranquilliseront pas ma conscience, répondit Wilhelm, et je me regarderai toujours comme votre débiteur.

Il est bien possible encore que vous le soyez, reprit Mme Mélina, mais non de la manière que vous entendez. Nous regardons comme une honte de ne pas remplir une promesse sortie de notre bouche ô mon ami, un homme généreux ne promet que trop par sa présence ! La confiance qu’il éveille, l’affection qu’il inspire, les espérances qu’il fait naître, sont infinies il devient et il demeure notre débiteur sans le savoir. Adieu ! Si notre position extérieure s’est heureusement rétablie sous votre direction, votre départ, laisse au fond de mon âme un vide qui ne sera pas facile a combler.

Avant de quitter la ville, Wilhelm écrivit à Werner une