Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

poussière ? Si les figures d’hommes agissants s’éveillaient et vivaient dans ton âme ; si une flamme sympathique échauffait ton sein ; si l’émotion qui vient du cœur se répandait sur toute ta personne, alors les inflexions de ta voix, les paroles de tes lèvres charmeraient les auditeurs. Si tu te sentais toi-même, tu chercherais sans doute le lieu et l’occasion de te sentir dans les autres. »

Au milieu de ces discours et de ces pensées, notre ami s’était déshabillé, et il se couchait, avec un sentiment de satisfaction secrète. Tout un roman de ce qu’il ferait le lendemain, s’il était à la place de l’indigne Mélina, se développa dans son esprit ; d’agréables chimères l’accompagnèrent doucement dans le royaume du sommeil, et l’abandonnèrent à leurs frères, les songes, qui le reçurent dans leurs bras ouverts, et firent planer autour de sa tête endormie les visions du ciel.

Il se leva de grand matin, pour s’occuper de la négociation qui l’attendait. Il retourna chez les parents abandonnés, qui l’accueillirent avec surprise. Il présenta modestement sa requête, et trouva bientôt plus et moins de difficultés qu’il n’avait présumé. La chose était faite, et, quoique les gens d’une sévérité et d’une dureté extraordinaire aient coutume de se roidir avec violence contre le passé et l’irréparable, et d’augmenter ainsi le mal, la chose accomplie a sur la plupart des esprits un pouvoir irrésistible, et ce qui semblait impossible prend sa place, aussitôt après l’événement, à côté des faits ordinaires. Il fut donc bientôt convenu que M. Mélina épouserait la fille du marchand ; mais, vu sa mauvaise conduite, elle ne recevrait aucune dot et promettrait de laisser, quelques années encore, à un bas intérêt, dans les mains de son père, l’héritage d’une tante. Le deuxième point, relatif à un emploi civil, rencontra déjà de plus grandes difficultés. On ne voulait pas voir devant ses yeux une fille dénaturée ; on ne voulait pas s’exposer, par la présence de l’homme, à s’entendre incessamment reprocher l’alliance d’un aventurier avec une honorable famille, qui était même apparentée à un surintendant ; on ne pouvait pas davantage espérer que l’administration lui voulût confier une place. Le mari et la femme se prononcèrent contre ce projet avec la même force, et Wilhelm parla très-vivement pour le faire accepter,