Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/554

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

550 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

idées et les jugements qu’elle s’était faits ; Wilhelm devait traduire pour lui-même, dans la langue du théâtre, tout ce qu’il voulait s’expliquer ; on avait de la peine à contenir les plaisanteries de Frédéric dans de justes bornes Jarno était presque toujours absent.

Comme on faisait observer que les ouvrages excellents étaient fort rares dans les temps modernes

Il est difficile, dit le marquis, d’imaginer et de juger ce que les circonstances doivent faire pour l’artiste ; et puis, avec le plus grand génie, avec le talent le plus décidé, ce qu’il doit exiger de lui-même est infini. L’application dont il a besoin pour se développer est incroyable. Maintenant, si les circonstances font peu de chose pour lui, s’il observe que le monde est aisé à satisfaire et ne demande qu’une légère, agréable et facile apparence, on aurait lieu de s’étonner, si la nonchalance et l’amourpropre ne l’arrêtaient pas dans la médiocrité ; ce serait une chose étrange qu’il n’aimât pas mieux échanger des marchandises à la mode contre de l’argent et des louanges, que de suivre le droit chemin, qui le mène plus ou moins à un misérable martyre. C’est pourquoi les artistes de notre temps offrent toujours pour ne donner jamais ; ils veulent toujours séduire pour ne jamais satisfaire ; ils.se bornent à indiquer, et l’on ne trouve nulle part la profondeur et l’exécution. Mais aussi il suffit de passer quelque temps dans une galerie et d’observer quels sont les ouvrages qui attirent la foule, ceux qu’elle estime et ceux qu’elle néglige, pour trouver que le présent donne peu de satisfaction et l’avenir peu d’espérance.

Oui, dit l’abbé, et, de la sorte, l’amateur et l’artiste se forment réciproquement l’amateur ne cherche qu’une jouissance vague et générale ; il faut que l’œuvre d’art lui plaise à peu près comme une œuvre de la nature, et les hommes croient que les organes se forment d’eux-mêmes pour apprécier une œuvre d’art, ainsi que se forment la langue et le palais, et que l’on juge un tableau comme un ragoût. Ils ne comprennent pas qu’on a besoin d’une autre culture pour s’élever à la vraie jouissance des arts. Le plus difficile, selon moi, est l’espèce d’abstraction que l’homme doit opérer en lui-même, s’il veut acquérir un développement général c’est pourquoi nous trou