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554 LES ANNEES D’APPRENTISSAGE

lui, fondateur de cet édifice, créateur de cet asile, nous y avons apporté d’abord une jeune étrangère, et cet espace étroit renferme déjà deux victimes, bien différentes, de la sévère, capricieuse, inexorable déesse de la mort. Nous entrons dans la vie selon des lois certaines ; ils sont comptés, les jours qui nous préparent à voir la lumière mais la durée de la vie n’a point de loi. Le fil le plus délicat s’allonge d’une manière inattendue, et le plus fort est violemment coupé par les ciseaux d’une Parque, qui semble se plaire aux contrastes. Nous ne pouvons dire que peu de chose de l’enfant à qui nous donnons ici la sépulture. Nous ignorons encore son origine ; nous ne connaissons point ses parents, et nous ne pouvons que présumer le nombre de ses années. Son âme profonde, concentrée, nous laissait à peine deviner ses plus importants secrets ; rien de clair, rien de manifeste, chez elle, que son amour pour l’homme qui la délivra des mains d’un barbare. Cette tendre affection, cette vive reconnaissance, semble avoir été la flamme qui a consumé les sources de sa vie ; les soins habiles du médecin n’ont pu conserver cette belle existence, ni l’amitié la plus vigilante la prolonger. Mais, si l’art n’a pu enchaîner l’âme qui s’exhalait, il a déployé toutes ses ressources pour conserver le corps et le dérober aux ravages du temps. Un baume a pénétré dans toutes les veines, et, au lieu de sang, colore ces joues sitôt pâlies. Approchez, mes amis, et voyez la merveille de l’art et des soins. JI L’abbé souleva le voile, et l’on vit l’enfant couchée avec son costume d’ange, comme endormie, dans l’attitude la plus gracieuse. Tous approchèrent et admirèrent cette apparence de vie. Wilhelm seul resta sur son siège il ne se possédait plus ; ce qu’il sentait, il n’osait s’y arrêter, et chaque pensée déchirait son cœur. L’abbé avait parlé français, par égard pour le marquis le noble étranger s’approcha, avec le reste de la compagnie, et il observait l’enfant avec attention. L’abbé continua

Ce bon cœur, si fermé aux hommes, était sans cesse tourné vers son Dieu avec une sainte confiance. L’humilité et même un penchant pour l’abaissement extérieur étaient chez elle comme un instinct. Elle était attachée avec zèle à la religion catholique, dans laquelle elle naquit et fut élevée. Elle exprima.souvent le vœu secret d’être inhumée en terre sainte, et nous avons consa