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560 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

Nous fûmes saisis d’horreur à cette découverte ; l’état d’Augustin nous désolait ; nous ne savions que résoudre. Il nous jurait que Spérata était enceinte de lui. Notre confesseur-tit tout ce que lui inspirait son devoir, mais le mal n’en devint que plus grave. Les liens de la nature et de la religion, de la morale et des lois civiles, furent attaqués par mon frère avec la dernière violence rien ne lui semblait sacré que le lien qui l’unissait à Spérata ; rien ne lui paraissait respectable que les titres de père et d’époux.

Eux. seuls, disait-il, sont conformes à la nature ; les autres ne sont que chimères et préjugés. Des peuples célèbres n’ontils pas approuvé le mariage du frère et de la sœur ? N’invoquez pas vos dieux ! Vous ne les attestez jamais que pour nous aveugler, nous écarter du chemin de la nature, et pour transformer en crimes, par une infâme contrainte, les plus nobles penchants. Vous réduisez aux plus grands égarements de l’esprit, aux plus honteux désordres du corps, les victimes que vous enterrez vivantes.

Je puis parler, car j’ai souffert, comme personne, depuis la plus haute et la plus douce ivresse de l’extase, jusqu’au désert épouvantable de la défaillance, du vide, de l’anéantissement et du désespoir ; depuis les plus sublimes visions des créatures célestes, jusqu’à la plus absolue incrédulité, jusqu’à la négation de moi-même. J’ai bu toute cette affreuse lie du calice aux bords enduits de miel, et le poison a pénétré jusqu’au fond de mon être. Et dans le temps où la bonne nature m’a guéri par ses plus grands bienfaits, par l’amour ; où je sens de nouveau, dans les bras d’une femme divine, que je suis, qu’elle est, que nous sommes une seule vie ; où, de cette union vivante, un nouvel être va recevoir le jour et nous sourire vous m’ouvrez les flammes de votre enfer, de votre purgatoire, qui ne peuvent brûler qu’une imagination malade, et vous les opposez à la volupté vive, véritable, indestructible, du pur amour ! Observez-nous, sous les cyprès qui lèvent au ciel leurs cimes austères, le long de ces abris, où les citronniers et les orangers fleurissent à nos côtés, où le myrte élégant nous présente ses tendres fleurs, et puis essayez de nous alarmer avec vos piégcs sinistres, noir ouvrage des hommes !