Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/576

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

572 LES ANNÉES D’APPnEKTISSAGE

posant, et que nul ne connaissait. Les deux arrivants gardèrent quelques moments le silence enfin l’étranger s’approcha de Wilhelm, lui tendit la main et lui dit

« Ne reconnaissez-vous plus votre ancien ami ? »

C’était la voix du joueur de harpe, mais tout son extérieur était changé. II portait le costume ordinaire d’un voyageur ; il était proprement et décemment vêtu ; sa barbe avait disparu, ses cheveux étaient bouclés avec quelque soin ; et, ce qui le rendait tout a fait méconnaissable, c’est que sa figure expressive ne portait plus les marques de la vieillesse. Wilhelm l’embrassa avec la joie la plus vive ; on le présenta aux autres personnes ; il se comporta d’une manière fort convenable, et ne se doutait pas que, depuis peu, tout ce monde le connût si bien.

« Vous aurez, dit-il avec un grand calme, de la patience pour un homme qui, si avancé dans la vie qu’il vous paraisse, entre dans le monde comme un enfant sans expérience, après de longues douleurs. C’est à cet homme distingué que je dois de pouvoir reparaître dans la société.

On lui souhaita la bienvenue, et le docteur proposa sur-lechamp une promenade, afin de couper court à la conversation et de l’amener sur des sujets indifférents. Dès qu’il se trouva seul avec ses amis, il leur donna des éclaircissements.

a C’est au plus singulier hasard, leur dit-il, que nous avons dû la guérison de cet homme. Nous l’avions longtemps soumis, selon nos idées, à un traitement physique et moral ; son état était sensiblement meilleur, mais sa frayeur de la mort était toujours extrême, et il ne voulait pas nous faire le sacrifice de sa barbe et de sa longue robe du reste, il prenait plus d’intérêt aux choses du monde, et ses chants, comme ses idées, semblaient se rapprocher de la vie. Vous savez par quelle singulière lettre le pasteur me rappela d’ici. A mon arrivée, je trouvai notre homme tout changé il avait renoncé de lui-même à sa longue barbe, et s’était laissé coiffer comme tout le monde ; il avait demandé des habits ordinaires, et il semblait tout à coup devenu un autre homme. Nous étions impatients d’approfondir la cause de ce changement, et nous n’osions pas nous en expliquer avec lui enfin le hasard nous éclaircit ce singulier événement. Un flacon d’opium manquait dans la pharmacie du pasteur on