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580 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

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lie me donnait sur les doigts, quand je prenais la carafe ; papa me regardait d’un air fâché j’ai cru qu’il voulait me battre. Nathalie vole au château elle rencontre Wilhelm, encore plein d’angoisse i

« Heureux père, lui dit-elle, en mettant Félix dans ses bras, ton fils t’est rendu. Il a bu à la bouteille, sa mauvaise habitude l’a sauve.

On rapporta cet heureux événement au comte, qui prêta l’oreille, en montrant cette confiance souriante, tranquille, modeste, avec laquelle on daigne souffrir l’erreur des bonnes gens. Jarno, qui observait tout, ne pouvait cette fois s’expliquer un si haut degré de satisfaction personnelle ; mais il découvrit enfin, après force détours, que le comte était convaincu que l’enfant avait pris réellement le poison, mais qu’il lui avait miraculeusement sauvé la vie par sa prière et par l’imposition des mains. Aussitôt le comte résolut de partir. Suivant son habitude il eut bientôt plié bagage. Au moment.du départ, la belle comtesse prit la main de Wilhelm, avant d’avoir quitté celle de Nathalie, les pressa l’une et l’autre dans les siennes, détourna vivement la tête et monta en voiture.

Tant d’événements affreux et extraordinaires, qui s’étaient succédé rapidement, qui avaient arraché la société à ses habitudes, et mis tout en désordre et en confusion, avaient répandu dans le château comme une agitation fiévreuse. Les heures de la veille et du sommeil, des repas et des conversations, étaient bouleversées. Hors Thérèse, personne n’était resté dans son ornière les hommes cherchèrent à réveiller leur bonne humeur par des boissons spiritueuses, et, en se procurant une gaieté factice, ils éloignaient la gaieté naturelle, la seule qui nous donne une sérénité et une activité véritables.

Wilhelm était agité et troublé par les plus violentes passions ; ces secousses affreuses~ inattendues, l’avaient mis hors d’état de résister à l’amour qui s’était emparé de son cœur. Félix lui était rendu, et cependant tout semblait lui manquer ; Werner lui avait envoyé les lettres de change il ne lui fallait plus, pour se mettre en voyage, que le courage de s’éloigner. Tout le pressait de partir. Il pouvait deviner que Lothaire et Thérèse n’attendaient que son éloignement pour célébrer leur mariage.