Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/75

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amis du même âge, que nous ne sentons bien que dans nos besoins et nos détresses, lui furent autant de distractions dans sa situation nouvelle et une misérable diversion. Ce fut seulement lorsqu’il se trouva mieux, c’est à dire quand ses forces furent épuisées, qu’il jeta les yeux, avec horreur, dans le désastreux abîme de son aride misère, comme on plonge ses regards dans le cratère profond des volcans éteints.

Il se faisait alors les reproches les plus amers de pouvoir, après une si grande perte, goûter encore un moment de tranquillité, de repos, d’indifférence ; il méprisait son propre cœur, et soupirait après le soulagement des plaintes et des larmes.

Pour les faire couler encore, il se représentait toutes les scènes de son bonheur passé ; il se les retraçait avec les couleurs les plus vives, s’y reportait avec ardeur ; et, quand ses efforts l’avaient élevé à la hauteur suprême, quand le soleil des jours passés semblait ranimer ses membres, réchauffer son sein, il jetait un regard en arrière dans l’abîme épouvantable ; il repaissait sa vue de son écrasante profondeur, s’y précipitait, et faisait subir à la nature les plus amères souffrances. Par ces cruautés renouvelées sans cesse, il se déchirait lui-même ; car la jeunesse, si riche en forces secrètes, ne sait pas ce qu’elle prodigue, lorsqu’à la douleur d’une perte elle ajoute mille tortures volontaires, comme pour donner une valeur nouvelle au bien qu’elle a perdu. Au reste, parfaitement convaincu que cette perte était l’unique, la première et la dernière qu’il pourrait éprouver de sa vie, il repoussait avec horreur toute consolation qui essayait de lui représenter ces souffrances comme devant finir un jour.