Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/76

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Chapitre II

Accoutumé à se tourmenter ainsi lui-même, il poursuivit sans ménagement, de ses critiques amères, tout ce qui, après l’amour et avec l’amour, lui avait donné les joies et les espérances les plus grandes, c’est à dire son talent de poète et d’acteur. Il ne voyait dans ses travaux rien qu’une imitation insipide, et sans valeur propre, de quelques formes traditionnelles ; il ne voulait y reconnaître que les exercices maladroits d’un écolier, sans la moindre étincelle de naturel, de vérité et d’inspiration ; ses vers n’étaient qu’une suite monotone de syllabes mesurées, où se traînaient, enchaînées par de misérables rimes, des pensées et des sentiments vulgaires ; par là il s’interdisait encore toute espérance, toute joie, qui aurait pu le relever de ce côté.

Son talent de comédien n’était pas mieux traité. Il se reprochait de n’avoir pas découvert plus tôt la vanité, seule base sur laquelle cette prétention était fondée ; sa figure, sa démarche, son geste et sa déclamation n’échappèrent point à ses critiques ; il se refusait absolument toute espèce d’avantage, tout mérite, qui l’aurait élevé au-dessus de la foule, et par là il augmenta jusqu’au dernier point son morne désespoir. Car s’il est dur de renoncer à l’amour d’une femme, il n’est pas moins douloureux de s’arracher au commerce des Muses, de se déclarer pour jamais indigne de leur société, et de se refuser aux plus beaux et plus sensibles éloges, qui sont donnés publiquement à notre personne, à nos manières, à notre voix.

Wilhelm s’était donc complètement résigné, et s’était appliqué en même temps avec zèle aux affaires du commerce. À la grande surprise de son ami, et à la vive joie de son père, il n’y avait