Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/84

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par le grand air et le mouvement, s’approchant des montagnes, où il devait remplir quelques commissions.

Il parcourait lentement les monts et les vallées avec un vif sentiment de plaisir. Roches pendantes, bruyantes cascades, côtes boisées, profonds ravins, s’offraient à lui pour la première fois ; mais les rêves de son plus jeune âge s’étaient souvent égarés dans de pareilles contrées. À cet aspect, il se sentait comme une vie nouvelle ; toutes ses douleurs étaient évanouies, et, avec une parfaite sérénité, il se récitait des passages de divers poëmes, surtout du Pastor fido, qui, dans ces lieux solitaires, lui revenaient en foule à la mémoire. Il se rappelait aussi quelques endroits de ses poésies, qu’il répétait avec un plaisir particulier. Il animait, de toutes les figures du passé, le monde qui s’étendait devant lui, et chaque pas dans l’avenir lui faisait pressentir une foule d’affaires importantes et de remarquables événements.

Beaucoup de gens, qui, venant à la file, arrivaient par derrière, le saluaient en passant, et poursuivaient à la hâte leur chemin dans la montagne, par des sentiers escarpés, avaient quelquefois interrompu sa méditation tranquille, sans avoir cependant fixé son attention. Enfin un passant, plus communicatif, l’aborda et lui apprit la cause de cette nombreuse procession.

«  On donne ce soir, dit-il, la comédie à Hochdorf, et l’on s’y rassemble de tout le voisinage.

— Eh quoi ! s’écria Wilhelm, dans ces montagnes solitaires, à travers ces forêts impénétrables, l’art dramatique a su trouver un chemin et se bâtir un temple ? Et je vais me rendre à sa fête en pèlerin ?

— Vous serez plus surpris encore, dit le passant, quand vous saurez par qui la pièce est représentée. Il y a dans le village une grande fabrique, qui nourrit beaucoup de monde. L’entrepreneur, qui vit, pour ainsi dire, loin de toute société humaine, ne sait pas en hiver de meilleure distraction pour ses ouvriers que de les engager à jouer la comédie. Il ne souffre point de cartes dans leurs mains, et désire les détourner aussi des habitudes grossières. C’est ainsi qu’ils passent les longues soirées, et, comme c’est aujourd’hui l’anniversaire du vieux