Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/102

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poursuivit-il. Nos’ gens imaginent que je ne vois rien, parce que je ne m’inquiète de rien : mais je vois d’autant mieux, que cela ne me concerne pas. Il a déposé beaucoup d’argent chez mon père, qui l’a placé sûrement et avantageusement. Hier encore il remit dans les mains du vieux une cassette de bijoux, les plus riches et les plus beaux que j’aie jamais vus : mais ils m’ont laissé à peine le temps d’y jeter un coup d’œil, car c’est entre eux un secret. Apparemment c’est un cadeau, un gage d’amour, qu’il destine à sa fiancée. Antoni a donné son cœur à Lucinde : mais, quand je les vois ensemble, je ne puis trouver que ce soit un couple bien assorti. L’étourdie serait mieux son fait, et je crois qu’il lui plaît mieux qu’à l’aînée. Elle jette quelquefois au vieux barbon des regards aussi éveillés, aussi tendres, que si elle était prête à monter en voiture et à s’enfuir avec lui. »

Lucidor se contenait ; il ne savait que répondre ; tout ce qu’il apprenait lui causait une secrète joie. Le jeune frère continua ses confidences.

« Julie eut toujours un goût ridicule pour les vieux : je crois qu’elle aurait épousé votre père aussi lestement que vous. »

Lucidor suivait son compagnon où il lui plaisait de le conduire, à travers broussailles et rochers : ils oubliaient tous deux la chasse, qui ne pouvait d’ailleurs être bien productive. Ils entrèrent dans une ferme où ils furent bien reçus, et l’un des amis y passa le temps à manger, boire et babiller, tandis que l’aufre, plongé dans ses pensées et ses réflexions, cherchait le moyen de mettre à profit la découverte qu’il avait faite.

Ces récits et ces communications lui avaient inspiré tant de confiance en son rival, que, dès son retour à la maison, il demanda de ses nouvelles et courut au jardin, où devait se trouver Antoni. Il parcourut toutes les allées du parc, où brillait un beau soleil couchant : ce fut peine perdue ; il ne trouvait pas une âme nulle part. Enfin, comme il arrivait à la porte de la grande salle, par un singulier hasard, le soleil couchant, se reflétant dans la glace, l’éblouit, au point qu’il ne put reconnaître les deux personnes qui étaient assises sur le canapé ; il s’aperçut seulement que l’une était une dame, à qui un homme, assis auprès d’elle, avait baisé la main avec beaucoup de vivacité. Mais quelle ne fut pas son horreur, lorsque, sa vue s’étant éclair-