Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/107

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cheval un peu étourdiment ; il a perdu un fer, et j’ai dû le laisser en chemin. Que va-t-il dire ? C’est absurde pourtant, d’être fou comme je suis.

— Montez, » dit le vieillard ; puis, se tournant vers Lucidor : « Eh bien ! qu’en dites-vous ? »

Lucidor gardait le silence : le jeune étourdi entra. Après une longue altercation, on résolut d’envoyer aussitôt le palefrenier prendre soin du cheval.

Les deux jeunes gens quittèrent le vieillard et coururent à la maison, où Lucidor se laissa ramener sans trop de résistance, abandonnant les conséquences à la destinée. N’était-ce pas dans ces murs qu’était renfermé l’unique objet de ses vœux ? Dans ces situations désespérées, nous cherchons en vain le secours de notre libre arbitre, et nous nous sentons soulagés pour un moment, si une détermination, une contrainte, interviennent, de quelque façon que ce puisse être. Cependant, lorsqu’il entra dans sa chambre, il se trouva dans la plus étrange situation, précisément comme un voyageur dont la voiture s’est brisée, et qui revient à contre-cœur dans la chambre d’auberge qu’il venait de quitter.

Le joyeux frère s’empara du portemanteau, pour tout dépaqueter soigneusement ; il choisit et rassembla ce qui se trouvait de plus élégant, parmi ces hardes de voyageur, et força Lucidor à changer de bas et de souliers, rajusta lui-même sa riche et brune chevelure frisée et le brossa comme il faut ; puis, reculant de quelques pas, et contemplant de la tête aux pieds son ouvrage, il s’écria :

« Maintenant, mon petit ami, vous avez l’air d’un homme qui peut prétendre au cœur de quelque belle enfant, et, en même temps, assez sérieux pour vous mettre à la recherche d’une fiancée. Un moment encore, et vous apprendrez comme je sais me montrer quand l’heure sonne. Je dois ce talent à MM. les officiers, que les jeunes filles lorgnent sans cesse ; et, comme je me suis enrôlé moi-même dans une certaine milice, maintenant elles ne peuvent non plus assez me regarder, aucune ne sachant pour qui elle doit me prendre. Et cet échange d’œillades, ces étonnements, ces attentions, donnent souvent lieu à de jolies aventures, qui, ne fussent-elles que passagères, valent pourtant