Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/118

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ment entretenue. La voiture ne tarda guère ; Julie attira quelques moments l’attention de Lucidor sur un singulier spectacle. Toutes les machines qui faisaient l’orgueil du frère étaient animées et en mouvement ; déjà les roues faisaient monter et descendre une foule de gens ; déjà se balançaient les escarpolettes ; on grimpait aux mâts de Cocagne ; et quels balancements, quels sauts hardis ne voyait-on pas au-dessus des têtes d’une foule innombrable ! C’était le jeune fils qui avait mis tout ce monde en mouvement, afin de réjouir tous les convives après le festin.

« Passons par le village d’en bas, dit Julie au postillon. Je suis aimée de ces gens, poursuivit-elle, et je veux qu’ils voient comme je suis heureuse. »

Le village était désert ; toute la jeunesse avait couru à la place des jeux ; les vieilles gens, attirés par le cor du postillon, se montrèrent aux portes et aux fenêtres ; et saluant, bénissant, ils criaient tous :

« Oh ! le beau couple ! »

JULIE.

Vous l’entendez ! Qui sait ? Nous étions faits l’un pour l’autre : vous aurez des regrets peut-être.

LUCIDOR.

Mais à présent, ma chère sœur….

JULIE.

Ma chère ! c’est fort bien, à présent que vous êtes délivré de moi.

LUCIDOR.

Un mot seulement ! Vous avez un tort grave à vous reprocher. Que signifiait ce serrement de main, quand vous deviez connaître et sentir mon épouvantable situation ? Je n’ai vu de ma vie une malice pareille.

JULIE.

Rendez grâce à Dieu : voilà la faute expiée ; tout est pardonné ! Je ne voulais pas de vous, c’est vrai, mais vous ne vouliez absolument pas de moi, et c’est ce qu’aucune jeune fille ne pardonne, et ce serrement de main, souvenez-vous-en r était pour le fripon. Il était, je l’avoue, plus malin que juste, et je ne me pardonne qu’en vous pardonnant à vous même ; et qu’ainsi tout soit oublié et pardonné ! Voici ma main ! »