Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/188

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attentive à un récit, à quelqu’une de ces savantes improvisations auxquelles les hommes s’abandonnent si volontiers, c’est un témoignage infiniment flatteur pour celui qu’elle favorise.

Notre belle veuve travaillait à un portefeuille aussi élégant que magnifique, qui se distinguait encore par la grandeur du format. Il était devenu le sujet de la conversation ; il avait passé dans les mains du plus proche voisin, et il faisait le tour du cercle, en provoquant de grands éloges, tandis que l’industrieuse beauté s’entretenait avec le major sur des sujets sérieux : un vieil ami de la maison fit un éloge hyperbolique de l’ouvrage presque achevé ; mais, lorsqu’il arriva dans les mains du major, la veuve parut vouloir le mettre à l’écart, comme indigne de fixer l’attention d’un homme tel que lui ; il sut néanmoins apprécier d’une manière obligeante les mérites de ce travail, tandis que l’ami de la maison croyait y voir un merveilleux ouvrage, digne de Pénélope.

On se dispersa dans les diverses pièces, et l’on se groupa au hasard. Le lieutenant s’approcha de la veuve et lui dit :

« Que pensez-vous de mon père ? »

Elle répondit en souriant :

« Il me semble que vous pourriez le prendre pour modèle. Voyez quelle mise élégante ! Ne trouvez-vous pas qu’il s’habille et se présente mieux que son cher fils ? »

Elle continua de la sorte à célébrer et louer l’un aux dépens de l’autre, et à faire naître dans le cœur du jeune homme un sentiment très-mélangé de satisfaction et de jalousie.

Quelques moments après, le fils s’approcha du père, et lui rapporta tout, jusqu’au moindre détail. Le père ne s’en montra que plus empressé auprès de la veuve, qui, de son côté, sut déjà prendre avec lui un ton plus vif et plus familier ; bref, on peut dire qu’au moment du départ, le major lui appartenait et faisait partie de sa cour, aussi bien que tous les autres.

Une grosse averse empêcha les personnes de la société de retourner chez elles comme elles étaient venues ; quelques équipages survinrent, dans lesquels on distribua les piétons ; le lieutenant, sous prétexte de ne pas gêner les personnes déj’i trop serrées, laissa partir son père et resta.

Le major, en rentrant chez lui, se sentit dans une sorte d’i-