Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/214

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que de force sur le sol nouvellement créé ; on glissait, avec une gaieté toujours plus vive, parfois ensemble, parfois séparés ; on se fuyait, on se rejoignait. Partir, se dire adieu, chose d’ordinaire si pénible au cœur, n’était ici qu’un jeu, une petite bravade : on se fuyait, pour se retrouver l’instant d’après.

Mais, au milieu de ces amusements, tout un monde de choses utiles s’ébranlait aussi. Jusque-là, certains lieux n’avaient été secourus qu’à demi : maintenant les marchandises les plus nécessaires volaient de tous côtés sur des traîneaux pourvus de bons attelages, et, ce qui fut encore plus heureux pour la contrée, de maints endroits trop éloignés de la grand’route, on put transporter rapidement les produits de l’agriculture dans les magasins des villes et des bourgs et en ramener toute espèce de marchandises. Ainsi une contrée affligée, et qui éprouvait la plus fâcheuse disette, fut délivrée, approvisionnée, à travers une plaine tout unie, ouverte à l’adresse et à l’audace.

Notre jeune couple, en se livrant toujours à son plaisir, ne manqua point d’accomplir les devoirs d’une charitable bienfaisance. On visita la pauvre femme relevée de couches ; on la pourvut du nécessaire ; d’autres malheureux furent visités, de vieux ecclésiastiques, dont la santé avait donné des inquiétudes, avec lesquels on avait eu souvent des conversations édifiantes, et qu’on trouva plus dignes encore de respect dans cette épreuve ; de petits propriétaires, qui, à une époque antérieure, avaient eu l’imprudence de s’établir dans les plaines basses, mais qui, cette fois, protégés par de fortes digues, n’avaient éprouvé aucun dommage, et, après des angoisses extrêmes, jouissaient doublement de leur délivrance. Chaque ferme, chaque maison, chaque famille, chaque individu, avait son histoire ; il était devenu pour lui, et même pour les autres, un personnage important ; aussi quiconque faisait son histoire était souvent interrompu par un autre, qui voulait faire la sienne. Chacun avait hâte de parler et d’agir, d’aller et de venir, car le danger subsistait toujours : un dégel subit pouvait détruire tout ce bel ensemble d’heureuse et mutuelle activité, menacer les habitants dans leurs demeures et séparer de leurs foyers les voyageurs.

Si les jours se passaient dans un mouvement rapide et dans les affaires les plus animées, le soir offrait un tout autre spec-