Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de leur paisible influence ; quand la douceur de sensibles amis agit sur nous, il se passe dans notre esprit et notre cœur quelque chose d’étrange, qui évoque, comme un songe, les choses absentes ou passées, et recule par magie le présent, comme s’il était une pure vision. Bercés par ces diverses alternatives, attirés et écartés, éloignés et rapprochés, ils flottèrent et voguèrent de la sorte plusieurs jours.

Sans observer de trop près les relations des promeneurs, le guide, qui avait du coup d’œil et de l’expérience, crut remarquer un changement dans la paisible conduite de ses belles voyageuses ; et, lorsqu’enfin il se fut expliqué cette situation bizarre, il y pourvut de la manière la plus agréable : car, au moment où l’on voulut ramener les dames à l’endroit où elles devaient trouver la table prête, on vit s’avancer une autre barque, élégamment décorée, qui vint s’amarrer à celle de nos amis, et leur offrit, d’une manière engageante, une table servie avec abondance et délicatesse. Cela permit de passer de suite bien des heures ensemble, et la nuit seule amenait la séparation habituelle.

Heureusement, par un amour capricieux de la nature, Wilhelm et son compagnon avaient négligé, dans leurs premières promenades, de visiter celle des îles qui est le plus richement décorée, et, même alors, ce fut seulement quand ils eurent épuisé toutes les magnifiques scènes naturelles, qu’ils s’avisèrent de faire voir aux dames les objets d’art que cette île renferme, mais qui ne sont pas fort bien conservés. Cependant une autre idée leur vint tout à coup. Ils mirent le guide dans leur confidence : il eut bientôt arrangé cette promenade, et elle s’offrit à leur pensée comme la plus délicieuse qu’ils eussent faite encore. Après tant de jouissances interrompues, ils pouvaient espérer de passer trois journées divines, réunis dans un espace isolé.

Ici nous devons décerner au guide des éloges particuliers. Il était de ces hommes alertes, actifs et déliés, qui, accoutumés à conduire les seigneurs étrangers, parcourant souvent les mêmes chemins, en connaissent les avantages et les inconvénients, savent profiter des uns, éviter les autres, et, sans oublier leur intérêt particulier, font parcourir au voyageur la contrée, d’une