Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/241

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le front voilé ; la belle veuve étendit une main vers le chanteur, comme pour l’arrêter, et, de l’autre, elle prit le bras de Wilhelm ; le jeune peintre, hors de lui, suivit les pas d’Hilarie ; Wilhelm entraîna sur leurs pas la veuve, qui se possédait mieux. Et, lorsqu’ils se trouvèrent tous en face les uns des autres, à la clarté que la lune versait du haut des cieux, l’émotion générale éclata d’une manière irrésistible ; les dames s’embrassèrent ; Wilhelm pressa son ami sur son cœur, et la lune fut témoin des plus nobles et des plus chastes pleurs. Peu à peu on se remit de son trouble ; on se sépara en silence, avec des sentiments et des vœux étranges, qui étaient pourtant dès lors sans espérance. Et, à la face du ciel, dans les heures sérieuses de la nuit, notre artiste, que son ami avait entraîné, fut initié à toutes les douleurs par lesquelles les Renonçants débutent dans la carrière. Les deux dames et Wilhelm avaient déjà passé par cette épreuve, et ils se voyaient menacés de la subir douloureusement une seconde fois.

Les deux jeunes gens s’étaient livrés tard au repos, et, s’étant éveillés de grand matin, ils s’armèrent de courage et se crurent assez forts pour dire adieu à ce paradis ; ils imaginèrent divers plans, qui devaient leur permettre de prolonger, sans violer le devoir, leur séjour dans l’agréable voisinage de ces dames.

Ils songeaient à leur faire part de ce projet, quand ils apprirent soudain qu’elles étaient parties au point du jour.

Une lettre de notre reine des cœurs leur en disait davantage. On pouvait douter si c’était la sagesse ou la bonté, l’amour ou l’amitié, l’estime pour le mérite ou une légère confusion causée par le préjugé, qui l’avait dictée. Par malheur, la conclusion exprimait la défense rigoureuse de suivre et de chercher nulle part les deux amies ; même, s’ils les rencontraient par hasard, il faudrait sans faute s’éviter mutuellement.

Dès ce moment, le paradis fut changé pour les amis, comme par un coup de baguette magique, en un véritable désert ; et assurément ils auraient ri eux-mêmes, s’ils avaient pu s’apercevoir alors combien ils étaient devenus tout à coup injustes et ingrats envers un séjour si beau, si remarquable. Nul égoïste hypocondriaque n’aurait critiqué et frondé avec autant de ri-