Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/328

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Après une nuit passée presque tout entière dans l’insomnie et les rêves inquiets, je m’informai si la voyageuse avait commandé des chevaux : j’appris que non et je me rendis au jardin. Je la vis à sa fenêtre : je courus chez elle. Quand je la vis venir à moi, si belle, plus belle encore que la veille, un mouvement de passion, d’étourderie et d’audace me prit tout à coup ; je m’élançai au-devant d’elle et la saisis dans mes bras.

« Créature céleste, irrésistible, m’écriai-je, pardonne ! mais c’est impossible !… »

Elle s’échappa de mes bras avec une incroyable agilité : je n’avais pu même lui baiser la joue.

« Réprimez, me dit-elle, ces emportements d’une passion soudaine, si vous ne voulez renoncer à un bonheur qui est fort près de vous, mais auquel vous ne pourrez atteindre qu’après quelques épreuves.

— Ange du ciel, m’écriai-je, demande ce que tu voudras, mais ne me réduis pas au désespoir.

— Voulez-vous, me répondit-elle en souriant, vous consacrer à mon service ? Écoutez mes conditions : je viens ici rendre visite à une amie, chez qui je compte passer quelques jours : dans l’intervalle, je désire que ma voiture et cette cassette soient transportées plus loin. Êtes-vous disposé à vous en charger ? Vous n’avez pas autre chose à faire que d’emporter, avec précaution, la cassette de la voiture et de l’y rapporter ; vous asseoir à côté et en prendre le plus grand soin. Quand vous entrerez dans une auberge, vous la placerez sur une table, dans une chambre à part, que vous ne devrez pas occuper et où vous ne coucherez pas. Vous fermerez chaque fois la chambre avec cette clef, qui ouvre et qui ferme toutes les serrures, et leur donne la singulière propriété que nul ne peut les ouvrir dans l’intervalle. »

Je la regardai, animé de sentiments fort étranges. Je promis tout, pourvu que je pusse espérer de la revoir bientôt, et qu’elle voulût bien sceller cette espérance par un baiser. Elle y consentit, et, dès ce moment, je lui fus absolument dévoué. Alors elle me dit de commander les chevaux. Nous convînmes de la route que je devais suivre, des lieux où je devrais m’arrêter et l’attendre. Elle me mit une bourse pleine d’or dans la