Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/331

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ne s’était pas encore désemplie, qu’elle était aussi ronde, aussi dodue qu’auparavant ! Je voulus étudier de près cette belle propriété ; je me mis à compter mon or, je notai exactement la somme, et je recommençai à mener joyeuse vie avec ma société : parties de campagne, promenades sur l’eau, bals, concerts et autres plaisirs se succédèrent en foule. Mais je n’eus pas besoin d’une grande attention pour reconnaître que la bourse diminuait, comme si, par la maudite fantaisie que j’avais eue de compter mon or, je lui avais enlevé la vertu d’être incomptabk. Mais j’étais lancé dans la vie joyeuse ; je ne pouvais reculer, et bientôt je fus au bout de mon argent. Je maudissais mon sort, je blâmais mon amie, qui m’avait induit en tentation ; j’étais offensé qu’elle ne se fît plus voir ; dans mon dépit, je me disais quitte de tous devoirs envers elle, et me proposais d’ouvrir la cassette, pour voir si peut-être il ne s’y trouverait pas quelque secodrs ; car, si elle n’était pas assez pesante pour renfermer de l’argent, il pouvait s’y trouver des bijoux, qui auraient été les bienvenus. J’étais sur le point de mettre ce projet à exécution ; cependant je le renvoyai jusqu’à la nuit, pour faire la chose sans être inquiété, et je courus à un banquet où j’étais attendu. Les choses allaient à merveille ; le vin et une bruyante musique nous avaient fort animés, lorsqu’au dessert j’eus la désagréable surprise de voir entrer un ancien amant de ma maîtresse. Il arrivait de voyage, et il survint à l’improviste. Il s’assit auprès d’elle, et voulut sans façon faire valoir ses anciens droits. 11 s’ensuivit un différend, une querelle, un combat. Nous dégainâmes, et je fus rapporté chez moi avec plusieurs blessures et demi-inort.

Le chirurgien m’avait pansé et s’était retiré ; la nuit était avancée ; ma garde dormait : la porte de la chambre voisine s’ouvrit. Ma mystérieuse amie entra et s’assit à mon chevet. Elle me demanda comment je me trouvais : je ne répondis pas, car j’étais accablé et mécontent. Elle continua de parler avec beaucoup d’affection, me frotta les tempes avec un certain baume, et aussitôt je me sentis plus fort, assez fort pour être en état de me mettre en colère et de la quereller. Dans une apostrophe véhémente, je rejetai toute la faute de mon malheur sur elle, sur la passion qu’elle m’avait inspirée, sur ses apparitions, ses retraites,