Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/38

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stances, la première pensée d’un homme courageux est de commencer une vie nouvelle. De nouveaux objets ne lui suffisent pas ; ils ne servent qu’à le distraire : il lui faut une sphère nouvelle, et il se place d’abord au milieu.

— Mais pourquoi ce goût bizarre, cette inclination, la plus solitaire du monde ?

— Précisément parce qu’elle est solitaire. Je voulais fuir les hommes. On ne peut rien faire pour eux, et ils nous empêchent de rien faire pour nous. Sont-ils heureux, il faut les abandonner à leurs égarements ; sont-ils malheureux, ils veulent qu’on les sauve, sans toucher à ces folies, et nul ne demande jamais si vous êtes heureux ou malheureux.

— Ils ne sont pas si fort à plaindre, dit Wilhelm en souriant.

— Je ne veux pas te désenchanter : va ton chemin, nouveau Diogène ! Ne laisse pas ta lampe s’éteindre en plein jour ! Là-bas un nouveau monde s’ouvre devant toi ; mais je veux gager que les choses y vont comme dans l’ancien, qui est derrière nous. Si tu ne peux servir leurs plaisirs et payer leurs dettes, tu n’es bon à rien chez les hommes.

— Ils me semblent cependant plus récréatifs que tes inertes rochers.

— Point du tout, car du moins mes rochers sont incompréhensibles.

— Tu cherches un faux-fuyant : il n’est pas dans ton caractère de t’occuper de choses qu’on ne peut espérer de comprendre. Sois sincère, et dis-moi ce que tu as trouvé dans cette dure et froide fantaisie.

— Cela est difficile à dire de toute fantaisie, surtout de celle-ci. »

Jarno se recueillit un moment et il ajouta :

« Les lettres peuvent être une belle chose : cependant elles ne sauraient suffire pour exprimer les sons ; les sons, nous ne pouvons nous en passer, et pourtant il s’en faut bien qu’ils arrivent à faire entendre le véritable sens : nous finissons par nous attacher aux sons et aux lettres, et nous ne nous en trouvons pas mieux que si nous n’avions ni les uns ni les autres : ce que nous communiquons, ce qui nous est communiqué, se