Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/387

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truire toute ressemblance entre la maîtresse de la maison et la femme que je cherchais.

Je ne l’en observais que plus attentivement, et me semblait la plus intéressante, la plus aimable personne que j’eusse rencontrée dans mon voyage de montagne. J’étais assez au fait de cette industrie, pour lui parler Susanne avec connaissance de cause des travaux qu’elle entendait si bien. L’intérêt éclairé que j’y prenais lui était fort agréable ; et, quand je lui demandai d’où elle tirait ses cotons, dont j’avais vu, quelques jours auparavant, un grand convoi traverser les montagnes, elle me répondit que ce même convoi lui en avait amené une provision considérable ; la situation dé sa demeure était aussi très-avantageuse, sous ce rapport, parce que la grand’route qui conduisait au lac passait tout au plus à un quart de lieue au-dessous de la vallée, et qu’elle pouvait y recevoir, en personne ou par un facteur, les balles qui lui étaient destinées et adressées de Trieste, comme cela était arrivé avant-hier.

Elle invita ensuite son hôte à visiter une grande cave aérée, où la provision est gardée, afin que le coton ne sèche pas trop, ne perde pas de son poids et de sa souplesse. Puis, je trouvai réuni chez Susanne presque tout ce que j’avais déjà vu en détail ; elle me faisait remarquer successivement ces divers objets, auxquels je m’intéressais en connaisseur.

Cependant elle devint plus silencieuse. A ses questions, je pus deviner qu’elle me croyait du métier. Elle me dit en effet qu’aussitôt après l’arrivée du coton, elle attendait un commis ou un associé de la maison de Trieste, qui, après avoir discrètement visité son établissement, toucherait l’argent qu’elle devait : cet argent était prêt, pour être livré à la personne qui se ferait connaître. Un peu embarrassé, je répondis d’une manière évasive, et la suivis des yeux, tandis qu’elle mettait quelques objets en ordre dans la chambre. Il me semblait voir Pénélope au milieu de ses femmes. Elle revint, et il me parut qu’il s’était passé en elle quelque chose de particulier.

« Vous n’êtes donc pas un marchand ? me dit-elle. Je ne sais d’où vient la confiance que vous m’inspirez, ni comment j’ose me permettre de vous demander la vôtre. Je ne veux pas être importune, mais accordez-la-moi comme votre cœur le voudra. »