Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/388

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A ces mots, cette physionomie étrangère fixa sur moi un regard si connu, si pénétrant, que je me sentis tout à fait troublé, et que j’eus assez de peine à me remettre. Mes genoux fléchissaient sous moi, je n’avais plus ma présence d’esprit, lorsque heureusement on vint demander Susanne à la hâte. Je pus reprendre mes sens, et m’afFermir dans la résolution de me contenir le plus longtemps possible : car il me semblait que je fusse menacé une seconde fois d’une malheureuse aventure.

Marguerite, aimable et paisible enfant, m’emmena pour me faire voir les élégants tissus : elle le fit avec calme et intelligence. Pour lui témoigner mon attention, je notais ses explications dans mes tablettes, où ces détails se trouvent encore, comme souvenir d’une action purement mécanique, car j’avais tout autre chose dans l’esprit. Voici ces indications :

« La trame d’un tissu marché, aussi bien que tiré, se fait selon que l’exige le modèle, avec du fil blanc peu tordu, appelé fil de mouche, quelquefois aussi coloré en rouge, ou avec des fils bleus, qui sont employés également pour les rayures et les fleurs. Pour tondre l’étoffe, on la roule sur des cylindres, qui représentent un oadre en forme de table, autour duquel sont assises plusieurs ouvrières. »

Lise, qui était au nombre des tondeuses, se leva, se joignit à nous, entremêlant ses discours à ceux de Marguerite, de-manière à la contredire, atin de l’embrouiller ; et, comme je n’en montrais que plus d’attention à Marguerite, Lise tourna de côté et d’autre pour chercher, pour apporter quelque chose, et, sans y être obligée par le défaut de place, elle effleura deux fois très-sensiblement mon bras de son coude délicat, ce qui ne me plut guère.

Bonne et Belle (elle mérite bien ce nom, surtout en comparaison avec les autres femmes) me conduisit dans le jardin pour jouir des derniers rayons du soleil, qui allait disparaître derrière la montagne. Le sourire était sur ses lèvres, comme il arrive quand on hésite à laisser échapper quelque agréable pensée. J’éprouvais moi-même un doux embarras. Je marchais à ses côtés, et je n’osais lui présenter la main, malgré toute mon envie. Il semblait que nous eussions peur l’un et l’autre des paroles et des signes, qui auraient pu nous éclaircir trop