Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/433

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montrait dans son entourage, au milieu même de l’angoisse et du péril. En effet, l’enjouement sut assez souvent se produire parmi nos fugitifs : des incidents inattendus, des situations nouvelles, donnèrent à ces esprits émus maints sujets de rire et de plaisanter.

Dans cette fuite précipitée, la conduite de chacun fut singulière et caractéristique. L’un se laissait emporter par une frayeur vaine, une crainte déplacée ; l’autre s’arrêtait à des soins inutiles ; et l’excès ou le défaut de précautions, tout incident où la faiblesse se trahissait par la négligence ou la précipitation, donnèrent sujet, dans la suite, à des railleries et des moqueries mutuelles, si bien que ces tristes aventures en devinrent plus gaies que n’aurait pu l’être auparavant un voyage de plaisir.

En effet, de même que l’on peut quelquefois assister d’un visage sérieux à une comédie, sans rire de plaisanteries destinées à nous égayer, tandis qu’on voit éclater une gaieté bruyante, s’il arrive dans la tragédie quelque incongruité ; ainsi, dans le monde réel, un malheur qui met les gens hors d’eux-mêmes peut être accompagné souvent de circonstances qui provoquent le rire, ou sur-le-champ, ou du moins par la suite.

Plus que tous les autres, Mlle Louise, fille aînée de la baronne, jeune personne vive, passionnée, impérieuse dans les jours prospères, dut essuyer beaucoup de railleries, parce qu’on assurait que, dans la première frayeur, elle avait perdu toute présence d’esprit ; que, dans sa distraction, ou plutôt dans une sorte d’absence d’esprit, elle avait, de l’air le plus sérieux du monde, apporté, pour être emballées, les choses les plus inutiles, et même avait pris un vieux domestique pour son fiancé.

Elle se défendait de son mieux ; seulement, elle ne voulait souffrir aucune plaisanterie qui eût rapport a son fiancé, étant assez affligée de le savoir dans l’armée des alliés, au milieu de périls continuels, et de voir l’union, objet de ses vœux, différée, et peut-être même anéantie, par la conflagration générale.

Frédéric, son frère aîné, jeune homme résolu, exécutait avec ordre et précision toutes les volontés de la mère, accompagnait à cheval le cortége, était à la fois courrier, vaguemestre et guide. Le précepteur du fils cadet, enfant de grande espérance, était un homme savant ; il voyageait dans la voiture de la baronne et lui