Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/457

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Combien il se trompait ! A mesure que sa santé revenait et qu’il prenait de nouvelles forces, disparaissait chez la belle toute espèce d’inclination et de confiance ; son amant lui paraissait morne aussi importun qu’il lui avait été agréable autrefois. D’ailleurs, pendant ces événements, l’humeur du Génois était devenue, sans qu’il y prît garde, extrêmement amère et chagrine ; il rejetait sur les autres tout ce qu’il pouvait avoir fait pour gâter son sort ; il savait se justifier complétement à tous égards ; il ne voyait en lui qu’un homme injustement persécuté, offensé, affligé, et il espérait trouver l’entier dédommagement de ses maux et de ses douleurs dans le dévouement absolu de son amante.

C’est avec ces prétentions qu’il se présenta, dès les premiers jours où il put sortir de chez lui et visiter sa maîtresse. Il ne demanda rien moins que de la voir se donner à lui tout entière, congédier ses autres amis et ses connaissances, quitter le théâtre, et ne vivre qu’avec lui et pour lui. Elle lui fit voir, en prenant d’abord un ton badin, puis un langage sérieux, qu’elle ne pouvait consentir à ses demandes et se vit enfin obligée de lui avouer la triste vérité, et que leur liaison était entièrement rompue. Il la quitta pour ne plus la revoir.

Il vécut encore quelques années, voyant fort peu de monde, ou plutôt n’ayant d’autre société qu’une vieille dame pieuse, qui habitait la même maison et vivait de quelques petites rentes. Dans ce temps-là, il gagna un de ses procès, puis un autre ; mais sa santé était détruite et le bonheur de sa vie anéanti. Un léger accident le fit retomber dans une grave maladie ; le médecin lui annonça la mort. 11 entendit son arrêt sans répugnance ; il désirait seulement revoir encore une fois sa belle amie. Il lui envoya son domestique, qui, en des temps plus heureux, lui avait rapporté plus d’une réponse favorable. Il lui fit donc adresser sa prière : elle refusa. Il dépêcha un second message et la fit conjurer de venir : elle persista dans sa volonté. Enfin, la nuit étant déjà très-avancée, il envoya une troisième fois. Elle fut émue et me confia son embarras ; car je soupais justement chez elle avec le marquis et quelques autres amis. Je lui conseillai et la priai de rendre à son ancien amant ce dernier service ; elle parut indécise, mais enfin, après quelque réflexion, elle fit un