Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/469

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« Ayant fait partir le reste de mon train, j’attendis le dimanche, pour voir cette jeune femme. Je vins à dix heures, et trouvai la porte qu’elle m’avoit marquée, et de la lumière bien grande, non-seulement au second étage, mais au troisième et au premier encore, mais la porte étoit fermée : je frappai, pour avertir de ma venue, mais j’ouïs une voix d’homme, qui me demanda qui j’étois.

« Je me retirai, et, étant retourné pour la deuxième fois, ayant trouvé la porte ouverte, j’entrai jusques à ce second étage, où je trouvai que cette lumière étoit la paille du lit, que l’on y brùloit, et deux corps nuds, étendus sur la table de la chambre. Alors je me retirai bien étonné, et, en sortant, je rencontrai des corbeaux1, qui me demandèrent ce que je cherchois, et, moi, pour les faire écarter, mis l’épée à la main, et passai outre, m’en revenant à mon logis, un peu ému de ce spectacle inopiné. Je bus trois ou quatre verres de vin pur, qui est un remède en Allemagne contre la peste, et m’endormis pour m’en aller en Lorraine le lendemain matin, comme je fis.

« Et quelque diligence que j’aie sçu faire depuis, pour apprendre ce qu’étoit devenue cette femme, je n’en ai jamais rien sçu. J’ai été même aux Deux Anges, où elle logeoit, m’enquérir qui elle étoit, mais les locataires ne m’ont dit autre chose sinon qu’ils ne savoient point qui étoit l’ancien locataire.

« Je vous ai voulu dire cette aventure, bien qu’elle soit de personne de peu ; mais elle étoit si jolie, que je l’ai regrettée, et eusse désiré pour beaucoup de la revoir. »

— Cette énigme, dit Frédéric, n’est pas non plus très-facile à deviner, car il est toujours douteux de savoir si la gentille femme est morte de la peste dans la maison, ou si elle l’a seulement évitée par cette circonstance.

— Si elle avait vécu, répliqua Charles, elle aurait sans doute attendu son amant dans la rue, et nul péril ne l’aurait détournée de le chercher encore. Je crains toujours qu’elle ne fût couchée sur la table.

— Taisez-vous ! dit Louise, l’histoire est trop affreuse. Quelle


1. Nom que l’on donnait, surtout en temps de peste, à ceux qui étaient chargés d’euteirer les morts.