Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/470

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nuit passerons-nous, si nous allons nous coucher avec de pareilles images !

— Il me revient, dit Charles, une histoire plus agréable, et que Bassompierre raconte d’un de ses ancêtres.

« Une belle dame, qui aimait extraordinairement ce noble seigneur, allait le voir tous les lundis dans sa maison d’été, où il passait la nuit avec elle, faisant croire à sa femme qu’il avait consacré ce temps à une partie de chasse.

« Les amants s’étaient vus dela sorte deux ans de suite, quand la femme eut quelque soupçon, se glissa, un matin, dans la maison d’été, et trouva son mari et la belle dans un profond sommeil. Elle ne se sentit ni le courage ni la volonté de les éveiller, mais elle ôta son voile et l’étendit sur les pieds des amants endormis…. Quand la dame se réveilla, et qu’elle aperçut le voile, elle poussa un grand cri, elle éclata en plaintes bruyantes, et dit, en gémissant, qu’elle ne reverrait plus son amant, qu’elle n’oserait plus approcher de lui de cent lieues. Elle le quitta, après lui avoir fait trois présents pour ses filles légitimes, savoir une petite mesure pour le fruit, un anneau et une coupe, lui recommandant d’avoir le plus grand soin de ces trois cadeaux. On les garda soigneusement, et les descendants des trois filles attribuèrent à la possession de ces objets plus d’un événement heureux.

— Voilà, dit Louise, qui ressemble fort au conte de la belle Mélusine et à d’autres histoires de fées du même genre.

— Et pourtant, répliqua Frédéric, une tradition semblable et un pareil talisman se sont aussi conservés dans notre famille.

— Comment cela ? dit Charles.

— C’est un secret : le père le transmet de son vivant au fils aîné, qui reste après lui possesseur du joyau.

— Tu l’as donc sous ta garde ? demanda Louise.

— J’en ai déjà trop dit, » reprit Frédéric, en allumant la bougie pour se retirer.

la famille s’était réunie, comme à l’ordinaire, pour le déjeuner, et la baronne avait repris sa broderie. Après un moment de silence général, l’ecclésiastique dit en souriant :

« Il est rare que les chanteurs, les poètes et les conteurs qui promettent d’amuser une compagnie, le fassent à propos ; quand ils devraient montrer de la bonne volonté, ils se font d’ordi-