Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/477

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— Je devine, répondit la belle : tu t’inquiètes à mon sujet, parce que, suivant l’usage des hommes, tu ne vois dans notre sexe que faiblesse. Tu as observé chez moi, jusqu’à ce jour, la gaieté de mon âge, et tu crois qu’en ton absence, je serai légère et fragile. Je ne condamne pas ce sentiment ; il est ordinaire chez vous autres hommes ; mais, comme je connais mon cœur, je puis t’assurer que rien n’est capable de faire si aisément impression sur moi, et que nulle impression ne saurait être assez profonde pour me détourner du chemin où j’ai marché jusqu’à ce jour, guidée par l’amour et le devoir. Sois tranquille : tu retrouveras, à ton retour, ta femme aussi tendre et aussi fidèle que tu la trouvais le soir, lorsqu’après une courte absence tu revenais dans mes bras.

— Je sais que ce sont là tes sentiments, reprit le mari, et je te prie d’y rester fidèle. Cependant, supposons le cas le plus extraordinaire…. Pourquoi ne devrait-on pas le prévoir aussi ? Tu sais comme ta belle et charmante figure attire les regards de nos jeunes gens : en mon absence tu les verras encore plus empressés ; ils chercheront tous les moyens de t’approcher et même de te plaire. L’image de ton mari, comme aujourd’hui sa présence, ne les écartera pas toujours de ta porte et de ton cœur. Tu es une bonne et généreuse enfant, mais les vœux de la nature sont légitimes et pressants ; ils sont toujours en lutte avec notre raison, et, d’ordinaire, ils remportent la victoire…. Ne m’interromps pas ! Assurément, pendant mon absence, et même en pensant à moi, selon ton devoir, tu éprouveras de tendres désirs. Je serai quelque temps l’objet de tes vœux ; mais qui sait quelles circonstances pourront se rencontrer, quelles occasions se présenter ? Un autre moissonnera en réalité ce que l’imagination m’avait réservé. Pas d’impatience, je te prie, écoute-moi jusqu’au bout.

« S’il arrivait, cet événement, que tu déclares impossible, et que je ne souhaite pas non plus de hâter ; si tu ne pouvais vivre plus longtemps dans la solitude et le veuvage, promets-moi de ne pas choisir à ma place un de ces jeunes étourdis, qui, avec tous les agréments de leur figure, sont plus dangereux encore pour la réputation d’une femme que pour sa vertu. Esclaves de la vanité plus que de la passion, ils font la cour à toutes les