Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/519

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nuances de noir et de brun de la pierre précieuse en faisaient l’œuvre d’art la plus remarquable.

« Prends ta corbeille, dit le vieillard, et places-y l’onyx ; prends ensuite trois têtes de choux, trois artichauts et trois oignons, place-les alentour et porte-les à la rivière. Vers midi, fais-toi passer par le serpent et va rendre visite au Beau lis ; porte lui l’onyx ; le Lis lui rendra la vie par son attouchement, comme par son attouchement il tue toute chose vivante. Il aura dans le chien un fidèle compagnon. Dis-lui de ne pas s’affliger ; sa délivrance approche. Il peut considérer le plus grand malheur comme le plus grand bonheur, car le moment est venu. »

La vieille prépara sa corbeille, et, quand le jour parut, elle se mit en chemin. Le soleil levant projetait ses rayons par-dessus la rivière, qui brillait dans le lointain ; la femme cheminait à pas lents, car la corbeille pesait sur sa tête, et ce n’était pas l’onyx qui la fatiguait ainsi ; toute chose morte qu’elle portait, elle ne la sentait pas, et même la corbeille tendait alors à s’élever et flottait sur sa tête : mais des légumes frais ou un petit animal vivant étaient pour elle une charge extrêmement pesante. Elle avait cheminé quelque temps avec fatigue, lorsqu’elle s’arrêta soudain tout effrayée : elle avait failli marcher sur l’ombre du géant, qui s’étendait, par-dessus la plaine, presque jusqu’à ses pieds. A ce moment, elle vit sortir de l’eau l’énorme géant, qui s’était baigné dans la rivière, et elle ne savait comment l’éviter. Aussitôt qu’il aperçut la vieille, il se mit à la saluer en badinant, et les mains de son ombre se portèrent sur la corbeille. Avec adresse et légèreté, elles enlevèrent un chou, un artichaut et un oignon, et les présentèrent à la bouche du géant, qui remonta ensuite le long de la rivière et laissa à la femme le passage libre.

Elle se demanda si elle ne devrait pas retourner chez elle et prendre dans son jardin de quoi remplacer les légumes qui manquaient, et, toujours indécise, elle poursuivait son chemin, en sorte qu’elle arriva bientôt sur la rive du fleuve. Elle resta longtemps assise, attendant le batelier, qu’elle vit enfin approcher, traversant la rivière avec un singulier voyageur. Un noble et beau jeune homme, qu’elle ne pouvait assez regarder, descendit de la barque.