Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/520

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


« Qu’apportez-vous ? dit le vieillard.

— Ce sont les légumes que vous doivent les feux follets, » ditelle, en produisant sa marchandise.

Quand le batelier n’en trouva que deux de chaque espèce, il se fâcha, et assura qu’il ne pouvait les recevoir. La femme le supplia, lui représenta qu’elle ne pouvait alors se rendre chez elle, et aue le fardeau l’incommoderait dans le chemin qu’elle avait à faire. Il persista dans son refus, assurant même que la chose ne dépendait pas de lui.

« Ce qui me revient, je dois le laisser sans y toucher pendant neuf heures, et je ne dois rien accepter sans en donner le tiers à la rivière. »

Après bien des paroles échangées, le vieillard dit enfin : « Il reste un moyen : engagez-vous envers la rivière, consentez à vous reconnaître sa débitrice, et je prendrai les six pièces pour moi ; mais la chose offre quelque danger.

— Si je tiens ma parole, je ne cours cependant aucun danger ?

— Pas le moindre. Plongez votre main dans la rivière, et promettez de payer votre dette dans les vingt-quatre heures. »

La vieille fit ce qu’on lui disait, mais quel ne fut pas son effroi, quand elle retira de l’eau sa main noire comme le charbon ! Elle fit au vieillard les plus vifs reproches, assura que ses mains avaient toujours été ce qu’elle avait de plus beau dans sa personne, et que, malgré un travail pénible, elle avait su conserver à ces nobles membres leur blancheur et leur grâce. Elle regardait sa main avec une grande douleur, et s’écria, d’une voix désespérée :

« Voici qui est pire encore ! Je vois qu’elle a beaucoup maigri : elle est beaucoup plus petite que l’autre.

— C’est encore une simple apparence, dit le vieillard ; cependant, si vous ne tenez pas votre parole, cela peut devenir une réalité. La main diminuera peu à peu et finira par disparaître entièrement, sans que vous en perdiez l’usage ; elle remplira toujours son office, seulement personne ne la verra.

— J’aimerais mieux, reprit la vieille, ne pouvoir pas m’en servir, et qu’on ne s’en aperçût pas. Mais peu importe ; je tiendrai ma parole pour être bientôt délivrée de cette peau noire et de cette inquiétude, »