Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/532

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« Prends le miroir, dit le vieillard à l’autour, et fais briller sur les dormeuses les premiers rayons du soleil ; éveille-les d’en haut avec la lumière réfléchie. »

Le serpent fit quelques mouvements, rompit le cercle et, avec de longs replis, rampa lentement vers le fleuve ; les feux follets le suivaient d’un pas solennel : on les aurait pris pour les flammes les plus sérieuses du monde. La vieille et son mari prirent la corbeille, dont on avait à peine remarqué jusqu’alors la douce lumière ; ils la tirèrent de part et d’autre, et la corbeille devenait toujours plus lumineuse et plus grande ; ils y placèrent le corps du jeune homme ; ils posèrent le serin sur sa poitrine ; la corbeille s’éleva en l’air et se balança sur la tête de la vieille, qui s’avança à. la suite des feux follets ; le Beau lis prit Mops dans ses bras et suivit la vieille ; le vieillard à la lampe fermait la marche. Toutes ces diverses lumières répandaient sur les environs la plus étrange clarté.

Mais la compagnie ne vit pas avec moins d’admiration, lorsqu’elle fut arrivée au bord du fleuve, une arche magnifique, qui s’élevait par-dessus, et sur laquelle le serpent bienfaisant leur offrait un brillant passage. Si l’on avait admiré pendant le jour les pierreries transparentes, dont il semblait que le pont fût construit, on s’émerveilla, pendant la nuit, de leur éblouissante magnificence. Par en haut, le cercle lumineux tranchait vivement sur le ciel sombre ; mais, par en bas, de vifs rayons jaillissaient vers le centre et montraient la mobile solidité de l’édifice. Le cortége le traversa lentement ; le batelier, qui regardait de sa cabane lointaine, contemplait avec étonnement le cercle lumineux et les singulières clartés qui passaient pardessus.

A peine furent-ils arrivés sur l’autre bord, que, selon sa coutume, l’arche se mit à balancer et à s’approcher de l’eau avec des mouvements ondulatoires ; bientôt le serpent s’avança vers la rive, la corbeille se posa par terre, et le reptile se roula de nouveau en cercla alentour. Le vieillard s’inclina devant le serpent et lui dit :

« Quelle résolution as-tu prise ?

— De me sacrifier avant qu’on me sacrifie. Promets-moi que tu ne laisseras aucune pierre sur le bord. »