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LES BONNES FEMMES.

absence ; je me sentis mal à mon aise, je m’éloignai, j’avais tort, et mon malaise augmenta. Bref, depuis ce temps, notre liaison se refroidit toujours davantage, et, si elle finit par se rompre, je dois en attribuer, du moins dans mon cœur, la première faute à ce chien.

Armidore, qui était venu rejoindre la société et avait écouté cette histoire, prit la parole à son tour :

« On ferait, dit-il, une curieuse collection, si l’on voulait exposer, dans une suite de récits, l’influence que les animaux domestiques exercent sur les hommes. En attendant que cette collection se fasse, je vous conterai comment un petit chien fut la cause d’une aventure tragique.

« Deux gentilshommes, Ferrand et Cardano, furent liés d’amitié dès leur jeunesse. Pages dans la même cour, officiers dans le même régiment, ils avaient eu ensemble maintes aventures, et avaient appris à se connaître parfaitement. Cardano était heureux auprès des femmes, Ferrand au jeu : le premier jouissait de son bonheur avec arrogance et légèreté, le second, avec réflexion et persévérance.

« Cardano laissa, par hasard, à une dame un joli petit chien-lion, au moment de la rupture d’une liaison intime ; il s’en procura un second, et le donna à une autre, dans le temps même où il songeait à la quitter, et, dès lors, ce fut sa coutume de laisser, pour adieu, à chacune de ses maîtresses un petit chien de cette race. Ferrand eut connaissance de cette folie, sans y avoir jamais fait une attention particulière.

« Les deux amis furent longtemps séparés, et, quand ils se retrouvèrent, Ferrand était marié et vivait dans ses terres. Cardano passa quelque temps chez son camarade ou dans le voisinage, et il séjourna de la sorte plus d’une année dans ce pays, où il avait beaucoup d’amis et de parents.

« Un jour, Ferrand voit chez sa femme un charmant petit chien-lion ; il le prend, le trouve fort à son gré, le vante, le caresse, et finit naturellement par demander de qui elle a reçu ce joli chien. « De Cardano, » répondit-elle. Tout à coup il se rappelle les aventures et les temps passés ; il se rappelle le signe insolent dont son ami avait coutume d’accompagner son inconstance, l’emblème du mari outragé : il entre en fureur, il jette