Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/559

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recevais plus d’elle aucune nouvelle positive, en sorte que parfois je craignais pour sa raison. Toute sa position, sa délivrance, les premiers mouvements de tendresse pour le nourrisson, la joie, l’espérance, la crainte de la mère, étaient des événements d’un autre monde, d’où elle ne fut tirée que par l’arrivée de son fiancé. Elle conduisit jusqu’au jour de la noce le conte qui, à peu de chose près, est tout entier de sa plume, tel que vous l’avez entendu, et qui doit son charme particulier à la situation unique et bizarre dans laquelle il fut produit. »

La société ne pouvait assez exprimer son étonnement de cette histoire, si bien que Seyton, qui avait cédé à une autre personne sa place à la table d’hombre, vint s’informer du sujet de la conversation.... On lui dit, en peu de mots, qu’il s’agissait d’un conte, auquel avaient donné naissance les confessions journalières, fantasques, mais, jusqu’à un certain point, méditées, d’un cœur souffrant.

« C’est vraiment dommage, dit Sinclair, que la mode soit passée, il me semble, d’écrire son journal. Il y a vingt ans, c’était fort l’usage, et les bonnes jeunes tilles croyaient posséder un vrai trésor, lorsqu’elles avaient couché jour par jour leurs sentiments sur le papier. Je me rappelle une aimable personne à qui cette habitude manqua d’être funeste. Une gouvernante l’avait accoutumée dès son enfance à ces aveux écrits de chaque jour, qui étaient devenus à la fin pour elle une affaire presque indispensable. Elle ne la négligea point, quand elle fut devenue une grande personne, et cette coutume la suivit dans le mariage. Elle ne tenait pas ces papiers fort secrets, et n’en avait pas sujet ; elle en lisait quelquefois des passages à ses amies, quelquefois à son mari. Nul ne demandait à tout voir.

« Le temps marchait, et le moment vint aussi pour elle d’avoir un ami de la maison. Avec la même ponctualité qu’elle avait mise auparavant à faire chaque jour ses confessions au papier, elle développa l’histoire de cette liaison nouvelle. Depuis le premier éveil, et en suivant tout le progrès de l’inclination, jusqu’au temps où l’habitude en avait fait un besoin, tout le développement de cette passion était fidèlement retracé, et ce fut pour le mari une étrange lecture, lorsqu’un jour il fureta par hasard dans le secrétaire, et, sans soupçon comme sans des-