Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/92

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badinant, si, d’entre les nombreux et jolis jeunes gens qui passaient devant la fenêtre, tel ou tel ne lui plaisait point, elle répondait :

« Oui, sans doute, lorsqu’ils ont un air bien étrange ! »

Et, comme nos jeunes étudiants ne sont jamais en défaut sur ce point, elle avait souvent occasion de prendre intérêt à l’un ou à l’autre ; à leur vue, elle se rappelait quelque costume national étranger, mais elle finissait par assurer qu’il faudrait tout au moins un Grec, dans tout son équipage national, pour qu’elle voulût bien lui accorder une attention particulière ; aussi désirait-elle se trouver un jour à la foire de Leipzig, où elle pourrait en voir dans les rues.

Après ses travaux arides, et quelquefois ennuyeux, le professeur n’avait point de plus heureux moments que ceux où il instruisait Julie en badinant, triomphant en secret de se former une bru si aimable, toujours amusée, toujours amusante. Les deux pères étaient d’ailleurs convenus de ne point laisser soupçonner leur projet aux jeunes filles : on le tint caché même à Lucidor.

Les années s’étaient écoulées, avec leur rapidité ordinaire. Ses études achevées, Lucidor se présenta aux examens, et les subit, à la grande joie de ses supérieurs, qui ne demandaient pas mieux que de pouvoir remplir en conscience l’espoir de vieux et dignes serviteurs, qui possédaient et méritaient leurs bonnes grâces.

L’affaire avait donc suivi sa marche régulière, et se trouvait enfin arrivée au point que Lucidor, après s’être conduit d’une manière exemplaire dans des places inférieures, obtint, selon ses vœux et son mérite, un poste très-avantageux, qui fixait sa résidence à moitié chemin entre la demeure de son père et celle du grand bailli.

C’est alors que le professeur entretint son fils de Julie, non plus par allusions, mais comme d’une fiancée et d’une épouse, sans exprimer un doute et une condition, s’estimant heureux de s’être assuré un pareil trésor. 11 voyait déjà sa belle-fille le visiter de nouveau de temps en temps, s’occuper de ses cartes, de ses plans et de ses vues de ville ; le fils, de son côté, se rappelait l’aimable et joyeuse enfant, qui, dans leur premier âge,