Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/115

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ses frères et sœurs par ses chiffres effroyables, tandis que cette bonne idée fait rire les parents.

Je cherchai quelque fond pour cette forme singulière en étudiant la géographie des pays où résidaient mes personnages ; à ces nues circonstances de lieu, j’ajoutai toute sorte d’aventures imaginaires, ayant quelque affinité avec le caractère des personnes et leurs occupations. Par là, mes cahiers d’exercices devinrent beaucoup plus volumineux ; mon père fut content, et je m’aperçus plus tôt de ce qui me manquait en connaissances et en talent. Mais ces choses, une fois commencées, n’ont point de fin ni de bornes, et j’en fis l’épreuve dans cette occasion ; car, en cherchant à m’approprier ce baroque allemand juif, et à l’écrire aussi bien que je savais le lire, je sentis bientôt le besoin de connaître l’hébreu, seule source d’où l’on pouvait faire dériver, pour les traiter avec quelque sûreté, les altérations et les corruptions modernes. Je fis donc voir à mon père la nécessité où j’étais d’apprendre l’hébreu, et je sollicitai avec ardeur son consentement. C’est que j’avais encore un but plus élevé. J’entendais dire partout que, pour l’intelligence de l’Ancien Testament comme du Nouveau, les langues originales étaient nécessaires. Je lisais le Nouveau fort aisément, parce que, pour ne pas laisser le dimanche même sans exercice, je devais, après le sermon, réciter, traduire et expliquer un peu les Évangiles et les Épîtres. Je songeais à faire de même pour l’Ancien Testament, qui m’avait toujours plu singulièrement par son caractère spécial.

Mon père, qui ne voulait rien faire à demi, résolut de demander au recteur de notre gymnase, le docteur Albrecht, des leçons particulières, qu’il me donnerait par semaine, jusqu’à ce que j’eusse saisi le plus nécessaire d’une langue si simple ; car il espérait que, si la chose n’allait pas aussi vite que pour l’anglais, du moins le double de temps suffirait. Le recteur Albrecht était une des figures les plus originales du monde : petit et large sans être épais ; informe sans être contrefait ; bref, un Ésope en chape et en perruque. Un sourire sarcastique contractait son visage plus que septuagénaire, mais ses yeux restaient grands, et, quoique rouges, ils étaient toujours brillants et spirituels. Il habitait dans le vieux couvent des Franciscains, devenu le gymnase. Je l’avais déjà visité quelquefois en com-