Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/116

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pagnie de mes parents, et j’avais parcouru avec un plaisir mêlé de crainte les longs corridors sombres, les chapelles changées en chambres de visite, tout ce local entrecoupé, avec ses escaliers et ses recoins. Sans se rendre incommode, il m’examinait aussi souvent qu’il me voyait, et me donnait des éloges et des encouragements. Un jour de distribution de prix, à la suite d’examens publics, il me vit, non loin de sa chaire, spectateur étranger, tandis qu’il distribuait les médailles d’argent, præmia virlutis et diligentiæ. Je regardais apparemment avec convoitise la petite bourse d’où il tirait les médailles : il me fit un signe, descendit un degré et m’en donna une. Ma joie fut grande, bien que les gens trouvassent tout à fait contraire à l’ordre cette largesse faite à un enfant étranger au collège ; mais cela n’inquiétait guère le bon vieillard, qui jouait, en général, l’homme singulier, et cela d’une manière étrange. Il avait, comme instituteur, une très-bonne réputation, et il entendait son métier, bien que son âge ne lui en permit plus le complet exercice. Mais il trouvait dans les circonstances extérieures plus d’obstacles encore que dans sa faiblesse, et, comme je le savais déjà, il n’était content ni du consistoire, ni des scolarques, ni du clergé, ni des maîtres. Il donnait libre carrière, soit dans les programmes, soit dans les discours publics, a son naturel enclin à la satire et à l’observation des défauts et des vices, et, comme Lucien était presque le seul auteur qu’il lût et qu’il estimât, il assaisonnait d’ingrédients caustiques toutes ses paroles et ses écrits. Heureusement pour ceux dont il était mécontent, il n’allait jamais droit au fait, et se bornait à persifler, au moyen de rapprochements, d’allusions, de passages des classiques ou de la Bible, les défauts de ceux qu’il voulait critiquer. D’ailleurs son débit, qui n’était jamais qu’une lecture, était désagréable, confus, et, pour surcroît, interrompu quelquefois par une toux, et plus souvent par un rire creux, désopilant, dont il avait coutume d’annoncer et d’accompagner les passages mordants. Cet homme bizarre, je le trouvai doux et bienveillant quand nous commençâmes nos leçons. Je me rendais chez lui tous les soirs à six heures, et je sentais toujours une secrète jouissance quand j’entendais la porte à sonnette se refermer derrière moi, et que j’avais à parcourir le long corridor sombre.